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Comment échapper aux sifflets du peuple

 

1/6/03 Claude Reichman
Il fut un temps où, quand le général de Gaulle présidait la finale de la coupe de France de football, le ballon prenait la direction de la tribune et atterrissait miraculeusement dans les mains du chef de l'Etat qui s'était dressé pour le saisir. C'était un temps de durs affrontements politiques, mais où le peuple éprouvait du respect et de l'admiration pour ceux qui le représentaient. C'était un temps où, quand le président de la République descendait sur la pelouse pour se faire présenter les équipes, tous les spectateurs, quelles que fussent leurs opinions, l'applaudissaient, réunis pendant quelques heures dans la communion sportive et dans l'oubli des différences et des querelles. Depuis plusieurs années - et cela a commencé sous Mitterrand - le président ne peut plus serrer la main des joueurs que sous des bordées de sifflets. Puis il y a eu ceux qui ont injurié la Marseillaise. Nos princes ont compris : il leur faut se montrer le moins possible en public, sauf quand la foule est tenue à distance et que les micros se ferment au bruit qui monte d'elle.
Fort opportunément la réunion du G8 à Evian a fourni à Chirac une raison crédible pour ne pas assister à la finale du 31 mai entre le PSG et Auxerre. Il avait délégué le premier ministre pour le représenter. Mais Raffarin n'est arrivé qu'après le début de la partie, retardé, paraît-il, par des obligations diplomatiques relatives à l'Algérie, frappée par un tremblement de terre. Si bien que c'est son obscur ministre des sports qui est descendu sur la pelouse pour saluer les acteurs de la partie, ce qui s'est passé dans l'indifférence générale. Qu'importe, le but était atteint : le pouvoir n'avait pas été sifflé.
Faut-il que le régime soit populaire pour user d'aussi minables subterfuges ! Les observateurs et le monde politique tout entier ne cessent d'évoquer le 21 avril, ce jour de 2002 où Jospin a été éliminé de la course à l'Elysée par Le Pen et où Chirac n'a même pas atteint 20 % des suffrages. Ils ont bien raison de dire que cette date douloureuse pour les politiciens du système n'est en rien effacée. Comment le serait-elle d'ailleurs, quand la nouvelle majorité fait semblant de gouverner et ne compte que sur la communication pour persuader les Français qu'elle a pris en main les problèmes du pays ?

Comme le chien crevé au fil de l'eau

On le voit bien d'ailleurs en constatant son étrange comportement vis-à-vis des grévistes de la fonction publique. Alors que monte du pays une évidente exaspération à l'égard de ces privilégiés qui en veulent toujours plus, le parti politique majoritaire, l'UMP, s'est bien gardé d'encourager les manifestations de protestation, qui, ici et là, commencent à s'organiser. Mieux - ou pire si l'on préfère - elle a abandonné en rase campagne les maigres troupes issues de ses rangs qui se sont réunies l'autre dimanche devant l'Hôtel de Ville de Paris pour exprimer leur ras-le-bol. Seuls s'en étonneront les inconscients et les naïfs qui n'ont pas encore compris la véritable nature du pouvoir en France. Celui-ci n'est double qu'en apparence. Il n'y a pas d'un côté la gauche et de l'autre la droite parlementaire. Il s'agit en réalité d'une unique marchandise vendue sous deux marques différentes. Chirac et l'UMP veulent à tout prix maintenir la dictature socialiste parce qu'elle est la clé de leur pouvoir. Qu'ils l'allègent ne fût-ce qu'un peu, et ils verront se lever, issue de leur électorat, une concurrence déterminée à en finir avec ce système d'oppression et qui balaiera les politiciens qui ont pendant si longtemps trompé le camp de la liberté.
Alors, et alors seulement, on assistera à une véritable alternance politique. En attendant, le pouvoir naviguera comme le chien crevé au fil de l'eau, sans recueillir plus de considération que la vieille charogne qu'il est devenu.
A la république, il faut de la vertu. Et la conviction est partie intégrante de celle-ci. Guy Millière a eu mille fois raison de se battre pour faire publier en France les écrits personnels de Ronald Reagan*, qu'il a traduits et présente. Jamais livre n'est venu plus à point. Il n'est pas un mot de ces textes qui n'ait un évident retentissement dans la France d'aujourd'hui. Car contrairement à ce que beaucoup de gens croient, le socialisme et l'étatisme menacent l'Amérique tout autant que la France. Mais il s'est trouvé là-bas des citoyens convaincus et vertueux qui ont su gagner la confiance de leurs compatriotes pour les entraîner loin de ces ornières, qui, chez nous, sont devenues des gouffres parce que de mauvais bergers n'ont cessé de tromper le peuple.
A ceux qui croiraient que la passion de la liberté est une invention américaine, dédions ces phrases de Ronald Reagan : "Voici plus d'un siècle, un écrivain et philosophe français, Alexis de Tocqueville, a voyagé jusqu'à nos rivages aux fins de comprendre comment un aussi grand miracle avait pu se produire en aussi peu de temps. Le monde entier parlait de nous, de notre prospérité, de notre croissance industrielle. Tocqueville est venu, il a vu et il a admiré. Il a tant admiré qu'il a écrit un livre à notre sujet. Il a inclus dans son livre quelques mots destinés à nous avertir. Il a écrit que si nous n'y prenions pas garde, nous pourrions nous retrouver empêtrés dans un réseau de règles qui contrôleraient virtuellement tous les aspects de la vie et du comportement humain. "
Reagan est américain. Mais Tocqueville était français, comme Frédéric Bastiat, comme Jean-Baptiste Say, comme Turgot. C'est à un Anglais, Gresham, que nous devons la loi qui veut que " la mauvaise monnaie chasse la bonne ". Nous l'avons adaptée à notre usage : chez nous, les mauvais Français chassent les bons.

Claude Reichman

* Ronald Reagan, " Ecrits personnels ", traduction et présentation de Guy Millière, préface de Alain Griotteray, 577 pages, 25 €, Editions du Rocher.

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