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Une nouvelle lutte des classes

24/4/03 Jean Bounine
 

Dans son dernier papier intitulé "La France au ban des nations libres", Claude Reichman annonce que le bon peuple finira bien par se réveiller de sa torpeur et se révolter contre la classe politico-médiatique qui exerce aujourd'hui, sur lui, un pouvoir apparemment sans limite.

Ces réflexions s'accordent avec les propos que le directeur d'une fonderie employant 550 personnes m'avait tenus, à l'occasion d'une enquête que j'avais faite, l'année dernière, sur les 35 heures*.

"La loi Aubry m'a paru tellement aberrante que, lorsqu'elle avait été promulguée, j'ai pensé "qu'il était urgent d'attendre". Il se trouve qu'un jour de décembre 1999, alors que je faisais un de mes tours d'usine habituels, j'ai été interpellé par un de nos ouvriers : "Alors, qu'allons-nous faire pour les 35 heures ?" Un autre me pose la même question un peu plus loin, puis un troisième. Au cinquième, sentant que nos principes de bonne humeur avaient été mis à mal, sans doute par une influence extérieure, je décide d'arrêter immédiatement l'usine et de rassembler tout le personnel dans la halle d'expédition. Juché sur une caisse d'emballage, je déclare que c'était au personnel lui-même et non à moi de trouver une réponse. Après tout, ai-je ajouté, vous êtes grands, vous gagnez bien votre vie. N'est-ce pas Eric, tu gagnes bien une fois et demie le salaire moyen d'un ouvrier métallurgiste ? C'est donc à vous tous de prendre en mains votre destin, mais gardez vous d'écouter le chant des sirènes. Vous êtes engagés dans une nouvelle lutte de classes qui vous oppose, non plus cette fois aux patrons, mais aux fonctionnaires et aux technocrates du gouvernement. Je vous demande de désigner un délégué dans chaque atelier et d'organiser des réunions d'une heure par semaine pour vous informer sur les 35 heures, vous faire une opinion sur cette loi, en débattre et finalement répondre vous-mêmes à la question que vous m'avez posée. Cela durera le temps qu'il faudra et, quand vous aurez la réponse, nous verrons ensemble si elle est conforme à la loi et, si c'est le cas, nous la soumettrons par référendum à l'ensemble du personnel".

"Les délégués se sont réunis à cinq reprises. Je sais que les premières séances ont été assez houleuses, mais je n'ai pas perdu confiance, parce que j'avais appris que les délégués avaient évité de partir de la lettre de la loi, notamment pour ce qui concerne la définition du temps de travail. Ils ont pris spontanément le parti de mettre en quelque sorte les pendules à l'heure du client. Cela leur a permis de conclure qu'il ne fallait rien changer à nos pratiques dans les ateliers, le plus simple étant que chacun prenne deux semaines de congés supplémentaires par an, ce que nous avons décidé de faire, le personnel consulté ayant donné son accord à 98 %. Toutefois, la loi Aubry a fini par changer beaucoup de choses chez nous, et pas dans le bon sens".

"Je ne pense pas que les auteurs de cette loi en aient mesuré tous les effets pervers. En étaient-ils d'ailleurs capables ? J'ai le souvenir d'une réunion à laquelle plusieurs fonctionnaires des affaires sociales participaient, lesquels y sont tous allés de leurs couplets sur le temps choisi, l'augmentation du temps de liberté, la civilisation des loisirs et j'en passe. Bien entendu, aucun d'entre eux ne s'était posé la question de savoir comment une société qui s'apprêtait, conformément à leurs vœux, à faire passer le travail au second plan, pourrait continuer à financer les loisirs des fonctionnaires eux-mêmes. Il y avait là, de la part de ces agents propagateurs du tout social, une façon de se justifier d'être devenus les serviteurs zélés d'une loi absurde. Il est clair que, pour profiter pleinement de la croissance mondiale qui s'était manifestée dès 1999, il eût fallu libérer et encourager le travail plutôt que de le contingenter. Pire encore, avec les 35 heures, Aubry a contribué à casser le goût et l'envie du travail. Elle a d'ailleurs cherché à faire des cadres et des fonctionnaires des agents propagateurs d'un nouvel hédonisme. Chaque jour, nous ressentons un peu plus, mes collaborateurs et moi-même, le contraste entre nos mentalités de "travailleurs-travailleuses", qui sont restées, je dirai, classiques, avec, autour de nous, celles des employés d'administrations ou de banques".

"Vous êtes engagés dans une nouvelle lutte de classes qui vous oppose, non plus cette fois aux patrons, mais aux fonctionnaires et aux technocrates du gouvernement"… Un clivage - d'aucuns diraient une fracture sociale - pourrait bien s'opérer entre "la classe politico-syndicale" et le bon peuple des travailleurs-travailleuses… et des retraités.

* Vérités sur les 35 heures, de Jean Bounine, présentation de François Dalle, 198 pages, 16 €, Editions du Rocher

 

 

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