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Lettre ouverte à Jean-François Mattei

12/11/02 Claude Reichman
Monsieur le Ministre et cher Confrère,

Je sens que vous avez un problème. Voilà plusieurs semaines que vous tournez autour du pot sans jamais oser dire franchement ce que vous avez sur le cœur. N'écoutant que mon sentiment confraternel - et la sympathie que j'éprouve pour vous - je vais tenter de vous venir en aide. Et vous verrez qu'après mon intervention, vous vous sentirez mieux.

La méthode que je vous propose consistera à partir de vos propos et à leur donner une expression plus claire et plus nette, de façon à ce que vous soyez compris de tous.

Dans Le Monde du 9 novembre 2002, vous écrivez : " L'idée selon laquelle le gouvernement souhaiterait privatiser la Sécurité sociale, grâce au recours aux assurances complémentaires, ne résiste pas davantage à une analyse un peu sérieuse. Nous sommes déjà plus de 8 Français sur 10 à bénéficier d'une couverture complémentaire maladie et nous n'avons pas le sentiment de vivre dans un système privatisé de Sécurité sociale. "

Voici la version que je vous propose : " Les mutuelles, auxquelles 8 Français sur 10 sont affiliés, vont désormais pouvoir les assurer complètement pour la maladie. Qu'est-ce que cela changera pour nous qu'elles nous remboursent entièrement et non plus seulement pour la part complémentaire ? Nous sommes déjà dans un système privatisé. "

Puis, dans le même article, vous écrivez ceci : " Personne ne peut croire que les millions de Français qui cotisent à des mutuelles ou aux institutions de prévoyance sont des ultralibéraux ou que les établissements mutualistes sont des structures commerciales à but lucratif. "

Traduction : " Qu'on ne m'accuse pas d'ultralibéralisme et de vouloir favoriser les assureurs privés. Les mutuelles ont déjà 80 % du marché de l'assurance complémentaire et elles ont toute chance de s'approprier le même pourcentage de l'assurance au premier franc. "

Suite de votre propos " officiel " : " J'ai le sentiment que ceux qui crient au loup sont ceux qui ont mauvaise conscience de l'avoir fait entrer dans la bergerie. "

Traduction : " Arrêtez de nous emmerder avec vos conneries. Qui a signé les directives européennes qui suppriment le monopole de la Sécurité sociale ? Mitterrand et Bérégovoy ! Qui a transposé ces directives dans le droit national pour ce qui concerne les mutuelles ? Jospin ! Nous nous contentons de les appliquer, parce que nous y sommes contraints et que la France est menacée par la Cour de justice de Luxembourg d'une pénalité quotidienne de 242.650 euros (1.591.679 francs) ! "

Alors, heureux ?

Alors, Monsieur le ministre, on se sent mieux ? Oui, bien sûr. Comme après un bon coup de gueule contre des gens qui vous harcèlent alors que vous n'avez rien fait de mal.

D'ailleurs, cela fait pas mal de temps que vous essayez de dire la vérité. Vous souvenez-vous de ce Grand Jury de RTL, au cours duquel, il y a environ deux ans, vous aviez dit que vous ne voyiez pas comment on pourrait empêcher un Français d'aller s'assurer pour la maladie par exemple en Allemagne ? Olivier Mazerolle, qui dirigeait le débat, s'était alors empressé de passer à autre chose. Vous n'avez pas insisté. Vous auriez dû !

Plus récemment, devenu ministre de la santé, vous avez récidivé. C'était à Luxembourg, en juillet dernier, lors d'une réunion de vos homologues européens. Voici ce que vous avez déclaré : " Si des groupes d'assurances, des mutuelles ou des caisses d'assurance-maladie offrent la même couverture pour des prix moindres, je ne vois pas très bien comment, plus tard, pas tout de suite, mais plus tard, on n'aurait pas un mouvement citoyen demandant à contracter l'assurance dans les meilleures conditions possibles. "

Traduction : " Les directives européennes, applicables depuis 1994 - c'est dire si nous sommes en retard ! - ont institué la concurrence entre les caisses de sécurité sociale, les mutuelles et les sociétés d'assurance. Les gens n'attendent que le moment de pouvoir s'assurer au meilleur prix. Alors quand je dis " plus tard ", je déconne complètement. C'est " tout de suite " que je devrais dire. Ca nous pend au nez et ça va dégouliner avant longtemps ! "

Je vois à votre sourire radieux que vous êtes à nouveau en accord avec vous-même. Je le sais d'autant mieux que vous avez eu maintes fois, au fil des années, l'occasion de me faire savoir que vous êtes favorable à l'introduction de la concurrence dans la protection sociale. Je dois reconnaître qu'être devenu ministre de M. Chirac, qui s'est porté garant de notre système social, comme il se porte garant de tout ce à quoi il touche, ce qui provoque les catastrophes en séries qui composent son bilan, n'est pas la position idéale pour consentir les aveux les plus doux. Mais enfin, mieux vaut dire les choses que de sombrer dans la dépression.

Vous me voyez content, Monsieur le ministre, de vous en avoir sauvé. Bien entendu, je ne vous prendrai pas d'honoraires pour ce traitement, confraternité oblige. C'est autant que la Sécurité sociale n'aura pas à rembourser. Vous allez voir qu'avec des gens de bonne volonté comme vous et moi, on va finir par arriver à lui éviter la faillite !

Claude Reichman

PS J'ai bien aimé votre roman " Sonate pour un clone ". Si vous décidez de cesser de faire le ministre, vous trouverez dans la littérature une occupation qui a finalement plus de chance de rendre heureux vos contemporains.

 

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