www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

23/10/15 Charles Gave
     

             L’ours est un animal très dangereux !

« Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel » est l’un des proverbes boursiers les plus connus. Par là, ceux qui l’utilisent veulent dire que les hausses ne peuvent pas durer toujours et qu’il faut bien qu’il y ait des baisses pour que le marché puisse repartir à la hausse un jour. Je suis dans la finance depuis 1971, ce qui me permet de certifier au lecteur que les baisses sont des phénomènes bien réels, et fort désagréables.

Mais comme j’ai un esprit « analytique », j’ai toujours trouvé qu’il était plus facile de maintenir le cap en cas de gros temps si l’on disposait d’une bonne carte, et cela est vrai aussi bien pour les hausses que pour les baisses. Les lignes qui vont suivre ne sont donc qu’une tentative de créer de l’ordre dans cette notion bien confuse de « baisse », car toutes les baisses ne se valent pas. Il y a celles dont on se remet, et celles dont on ne se remet pas.

Commençons par une première évidence psychologique. Les «ours » sont des animaux furtifs que l’on n’entend pas arriver. Dans les premiers « bear markets » que j’ai connus, je me suis rendu compte que nous étions dans un marché baissier entre 12 et 18 mois après qu’il eut commencé, et jusque là je n’avais rien vu arriver, pensant que nous étions toujours dans un environnement favorable alors que j’avais déjà perdu pas mal d’argent. Du coup, je me suis bâti toute une petite série d’outils pour me prévenir que l’ours était sorti de son hibernation.

Citons en un : je prends les indices des vingt plus gros marchés d’actions mondiaux et je compare la performance de chacun d’entre eux avec celle d’une obligation du Trésor américain à 10 ans.

Si un marché fait mieux sur les 12 derniers mois que l’obligation, mon ordinateur sort un +1.

S’il fait moins bien, -1.

J’additionne tous ces +1 ou -1 dans un indice de diffusion. S’il est en dessous de zéro (plus de marchés qui baissent que de marchés qui montent), je commence à me méfier. Nous sommes passés en dessous de zéro à la mi- mai 2015 et aujourd’hui nous sommes à -20, ce qui veut dire que tous les marchés font moins bien qu’une obligation depuis un an… ce qui implique que nous sommes certainement dans un marché de l’ours. De la mi-mai à aujourd’hui l’indice mondial a baissé d’environ 13 % en dollars.

Et là, je voudrais faire une comparaison entre la bourse et un sport, le football américain, une sorte de rugby local. Quand une équipe a la balle, elle fait rentrer sur le terrain son équipe « offensive » où les vedettes sont des gazelles, chargées de marquer des points. Quand cette équipe n’a plus la balle, l’entraîneur fait rentrer l’équipe défensive, composée de gros plaqueurs un peu bourrins, le but étant de perdre le moins de points possible. Eh bien, la gestion de portefeuille, c’est pareil.

Quand on n’a pas la balle, il faut avoir des bourrins sur le terrain, qui limiteront les dégâts (cash, obligations courtes de très bonne qualité, actions à fort rendement). Et comme nous n’avons plus la balle aujourd’hui, place donc aux bourrins.

Continuons par une deuxième constatation que j’ai faite au cours des années.
Dans mon expérience, on ne sait jamais pourquoi un marché commence à baisser. Oh certes, de nombreuses explications sont fournies par les commentateurs habituels a posteriori, mais ce ne sont jamais les bonnes. La vraie raison apparaît dans les six derniers mois de la baisse, et en général cette baisse s’accélère dramatiquement à ce moment là (selling climax, en anglais). Ce qui veut dire que dés que la vraie cause est connue, il faut se préparer à acheter.

A mon avis, nous en sommes encore loin.

Et maintenant, venons-en à la typologie des marchés baissiers, le but de cet article.

En fait, il y a trois sortes de bear markets.

1. Le moins dangereux est causé par une « crise de liquidités ». La banque centrale locale fait monter les taux d’intérêts soit parce que l’inflation grimpe, soit en raison d’un déficit extérieur, soit les deux à la fois, les banques commerciales cessent de prêter et nous nous retrouvons dans un monde où il y a plus d’idiots que d’argent selon la blague bien connue. Ce bear market s’arrêtera lorsque la banque centrale changera de politique, une récession se produisant. En général, la baisse est d’environ 20 % sur les plus hauts. Rien de trop grave. Un ourson tout au plus.

2. Le deuxième type de bear market est beaucoup plus embêtant. Il ne s’agit pas d’une crise de liquidités mais d’une crise de solvabilité. Un gros intervenant dans le marché s’est endetté bien au delà du raisonnable, en général dans une monnaie étrangère, souvent le dollar, et ne peut rembourser, ce qui met en danger le système bancaire local. Par exemple aujourd’hui, le Brésil et le « complexe des matières premières » sont en pleine crise de solvabilité (voir le désastre Glencore). Nous parlons dans ce cas-là de baisses qui iront pour les indices de -35 % à -50 % sur les plus hauts. Là, nous avons affaire a un grand ours brun qui peut vous décapiter d’un revers de patte.

3. Enfin, le dernier type de bear market est un vrai grizzly. Et celui-là est vraiment terrifiant. Il est en fait le résultat de ce que l’on peut appeler « un bust déflationniste ». Les Etats ou le système économique se sont endettés comme des fous, soit auprès des banques soit en émettant des obligations, et se retrouvent bien incapables de rembourser, la croissance s’étant arrêtée net. Il faut donc passer par pertes et profits de multiples actifs dont les cours ne remonteront jamais. C’est le bear market décrit par Irving Fisher dans son génial article de 1934 « the debt deflation theory of great depressions, 1934, Econometrica », et celui là fait vraiment mal, les baisses s’étageant de -50 % à -90 % pour les indices. Historiquement les USA dans les années 30, le Japon de 1990 a 2009 ou l’Italie depuis 2000 en sont de bons exemples.

Cette typologie étant établie, je me sens un peu comme lorsque je vais voir un médecin qui me décrit parfaitement la maladie dont je souffre, pour me dire ensuite qu’il n’a pas la moindre idée de la façon dont elle peut être traitée, tant je me rends bien compte que le lecteur va me de demander : « Dans quel type de bear market sommes-nous en train de rentrer ? »

A cette question essentielle, je vais répondre franchement : je n’en ai pas la moindre idée, et c’est là où l’expérience me vient un peu en aide. Tant que la baisse sur le plus haut n’atteint pas 20 % au minimum, ou que mes indicateurs ne se sont pas retournés, je garde mes bourrins sur le terrain.

Ce qui me donnera une indication précieuse sur le type de baisse que je vais avoir sera le système financier (banques, compagnies d’assurance). Dans la crise de solvabilité et dans le bust déflationniste, ces valeurs s’écroulent de façon abominable, dans la crise de liquidités, elles sont les premières à baisser mais aussi les premières à remonter. Je surveille donc l’indice des banques comme du lait sur le feu.

Si la baisse de l’indice général commence à être supérieure à 20 %, je commence à regarder avec beaucoup d’attention ce qui a baissé moins que le reste (en excluant mes bourrins), parce que c’est probablement parmi ceux- là que je trouverai les meneurs de la hausse suivante qui finira bien par arriver. Et il faut garder en mémoire que les marchés haussiers prennent l’escalier, tandis que les marchés baissiers prennent l’ascenseur, autre proverbe bousier qui stipule que les bear markets durent beaucoup moins longtemps que les bull markets. En principe, en deux ans tout est plié, ce qui voudrait dire qu’en mai 2017 au plus tard, il faudra de nouveau avoir l’équipe offensive sur le terrain.

La dernière question est bien sûr la plus difficile. Toutes les zones géographiques vont-elles connaître le même sort en même temps ? La réponse est : ce n’est pas toujours le cas.

Par ordre de danger le plus élevé, je mettrai :

• Le Moyen-Orient, hors concours.
• L’Amérique latine en deuxième, tant elle a fait d’erreurs depuis 10 ans
• Juste derrière, l’Europe de l’euro, qui essaie de traiter une crise de solvabilité avec les outils nécessaires pour traiter une crise de liquidités, cela pouvant nous amener à un bust déflationniste d’anthologie.
• Derrière vient l’Amérique du Nord, avec le Canada (monnaie pas chère pour ceux qui veulent avoir du cash) et les USA
• Moins en risque, les pays européens qui ont la chance de ne pas être dans l’euro (Suisse, Suède, Grande Bretagne, Danemark, Norvège… et peut être Russie, qui pourrait être une protection en cas de hausse du pétrole)
• En contrôle de leur destin enfin, la Chine et les autres pays asiatiques, y compris le Japon.

Inutile de souligner que la majorité de mes positions défensives sont dans les deux derniers, tant j’espère que les derniers seront les premiers.

Charles Gave


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme