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1/12/15 Charles Gave
     
     Je suis triste, je n’ai plus personne à admirer !

J’ai une curieuse sensation, qui est peut être l’effet de l’âge avancé que j’ai atteint: je ne réussis plus à admirer les gens qui dominent le débat politique ou le monde de la pensée d’aujourd’hui.

Je m’explique.

Je suis né à la conscience politique non pas en 1968 comme beaucoup de ceux qui nous gouvernent, mais dix ans plus tôt quand les «événements» d’Algérie ont ramené au pouvoir de Gaulle. Et de cette période, jusqu’au début du XXIème siècle, je n’ai jamais souffert de l’impression que le monde manquait de personnalités charismatiques.
J’ai vu passer en France d’abord de Gaulle bien sûr, mais aussi Pompidou, le Sancho Panza de son prédécesseur à l’Elysée, venant du peuple français comme de Gaulle venait lui de l’histoire de France.

En dehors de France, aux USA, j’ai suivi les parcours de Kennedy, de Nixon puis de Reagan, cet immense personnage que la gauche française a tant brocardé et qui fut le meilleur président des Etats-Unis du XXème siècle.

Dans l’Eglise catholique, je me souviens de Jean XXIII, ce bon vivant qui passait sa vie à table en buvant des bons coups, un peu comme le Christ dans les Evangiles, et qui a transformé l’Eglise. Quand on lui demandait combien de personnes travaillaient au Vatican, il répondait toujours, « même pas la moitié »… Et bien sûr, je vénère la mémoire de Jean Paul II, qui a appris au monde que le nombre de divisions dont disposait l’Eglise n’avait aucune importance. Et j’ai eu, et j’ai toujours un profond respect pour Benoit XVI, l’intellectuel qui ne voulait pas être pape.

En Grande- Bretagne, j’ai eu Thatcher, la dame de fer, et le grand bonheur de vivre à Londres pendant les années où elle y exerçait le pouvoir. Et j’ai bien aimé Major, son successeur, homme du peuple s’il en fut.

En Chine, j’ai eu la chance de voir émerger Deng Xiao Ping, qui sut commencer à relever son pays des destructions meurtrières opérées par son prédécesseur, Mao Tse Toung, le dernier empereur fou et l’idole de toute la gauche française à cette époque.

En Afrique, j’ai vu Mandela réconcilier une nation au bord de la guerre civile.

Dans le domaine des idées, Soljenitsyne domine mon panthéon, tel Jupiter sur son Olympe, mais des divinités mineures m’ont enthousiasmé. Je pense à René Girard, qui vient de mourir, ou encore à Milton Friedman, que j’ai eu la chance de connaître, à Von Mises, à Hayek, à Gary Becker, à Thomas Sowell (qui vit encore), à Raymond Boudon, à Sauvy…

Dans les sports que j’ai aimés dans ma jeunesse, le rugby et le tennis, j’ai vu évoluer Rives, le capitaine courage, Villepreux, le chevalier sans peur et sans reproche, Walter Spanghero, qu’aucune tâche ne rebutait, Sella, l’homme qui a marqué le plus d’essais, Gachassin, le Peter Pan du sport, et bien d’autres encore qui étaient tout sauf des robots.

En tennis, j’ai vu jouer Nastase, Connors, Borg, Mc Enroe, qui faisait avec sa raquette des choses invraisemblables que personne d’autre n’avait faites avant lui et que personne d’autre ne fera jamais plus.

Bref, pendant toute ma vie, il me suffisait de lever les yeux pour contempler des hommes ou des femmes de génie, et donc il ne m’était pas difficile de me laisser aller au plus noble des sentiments, l’admiration.

Or je crois qu’une société humaine ne fonctionne que s’il est possible d’admirer ceux qui ont du génie autour de vous. Leur existence, les combats qu’ils ont menés, les défaites qu’ils ont surmontées, les victoires qu’ils ont obtenues élèvent l’âme de leurs contemporains en leur montrant que le seul chemin valable est celui qui monte.

Mais pour pouvoir admirer, encore faut-il qu’il y ait autour de vous des gens admirables. Or il n’y en a plus. Et mon âme aujourd’hui souffre car plus personne ne lui montre le chemin de la grandeur. J’ai l’impression d’être entouré, j’allais dire cerné, par les médiocres. Et comme c’est un sentiment bas, je me sens abaissé.

Comme on peut souffrir d’un déficit alimentaire, je souffre d’un déficit d’admiration, et c’est extrêmement pénible. Car non seulement je pense que chaque homme a besoin d’admirer, mais que chaque peuple aussi a besoin d’admirer et le peuple français peut être plus que tous les autres, car nous avons toujours revendiqué une âme française.
Or pour la première fois dans l’histoire de France, notre peuple n’a plus personne à admirer. Ni dans la littérature, ni chez les intellectuels, ni chez les politiques, ni dans le domaine de la science, ni dans le domaine religieux aucune personne ne dépasse le niveau de l’honnête médiocrité, au mieux.

Comme le disait Bernanos, « France, pays des philosophes, des bâtisseurs de cathédrales, des fous ». Où sont passés les philosophes tels Camus, les bâtisseurs tels Lyautey, les fous tels Michel Audiard, auteur immortel de la onzième béatitude : « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière »?

Quand je vois l’homme aux cheveux teints qui fait office de président de la République s’asseoir tout seul sur sa petite chaise sur son podium, avec tout son gouvernement assis derrière lui un mètre plus bas, j’étouffe de rage devant cette incongruité que l’on ne peut décrire que comme la médiocrité satisfaite d’elle-même, dominant la nullité qui se sait à sa vraie place. Et j’ai honte.

Et je me retrouve comme Diogène avec sa lampe, me baladant partout et disant « je cherche un homme». Car le plus curieux est que je ne pense pas une seconde que les personnalités lumineuses aient disparu.

Elles sont là, quelque part, ne demandant qu’à sortir de leur anonymat pour éclairer le reste du monde. Mais voilà, nous sommes dans une période où tout est fait pour que ces personnalités soient étouffées et l’explication de ce phénomène m’a été donnée il y a plus de vingt ans par deux sociologues italiens, Fruttero et Lucentini, auteurs d’un livre qui m’avait fait beaucoup rire à l’époque, « La prédominance du crétin ».

Ce livre n’a pas pris une ride, mais je n’aurais pas dû rire, j’aurais dû pleurer.

Il suffit de regarder des émissions de télévision où se succèdent BHL, Minc, Attali ou Duhamel, et de lire « d’un derrière distrait », comme le disait Jules Renard, les derniers articles ou livres qu’ils ont écrits ou fait écrire par d’autres pour s’en convaincre. Et les autres ne valent guère mieux à de rares exceptions prés.

Heureusement toutes les dictatures connaissent une fin, et il arrivera la même chose à la dictature des crétins qu’aux autres. Comme le disait Jean-Paul II, « la vérité l’emportera toujours sur le mensonge».

Et dans les dernières années, la solution au problème est apparue : ce ne sont pas les médias officiels qui vont faire sortir de l’ombre les lumières de la pensée, c’est chacun de nous, grâce à Internet.

Le problème d’Internet, c’est bien sûr qu’on y trouve le meilleur et le pire, et que les informations ne sont pas vérifiées.

Chacun d’entre nous doit donc « naviguer », et quand il trouve non pas une information intéressante, mais une source d’informations fiables, ou une petite lumière brillant dans la nuit, alors il doit les communiquer à son « réseau » pour faire reculer l’obscurité.

Je vais donner un exemple récent et qui me touche de prés. J’ai écrit il y a quelques semaines un papier sur un sujet qui me tient à cœur, intitulé « Ode à un Proche-Orient défunt ». Eh bien ce papier est arrivé à mon fils à Hong-Kong, envoyé par un fonctionnaire du consulat français, tant il agitait, paraît-il, les esprits au Quai d’Orsay. Comment est-il arrivé là, qui l’a fait parvenir ? Mystère…Les voies de l’Esprit sont impénétrables.

Dans le monde dans lequel nous vivons, il faut donc mettre notre message dans une bouteille confiée à l’océan d’Internet et espérer que quelqu’un l’ouvrira et que ce quelqu’un en sera transformé.

Les crétins ont pris le contrôle des médias ? Fort bien. Nous nous passerons donc des médias, voilà tout, comme nous nous passons des journaux ou de regarder la télévision, qui n’ont plus rien à nous dire et qui de toutes façons appartiennent à des marchands d’armes.

A chacun de nous de se remettre à penser librement.

La liberté est une ascèse, pas un confort.

Charles Gave

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