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Sécurité sociale : De Gaulle voulait un système de responsabilité personnelle

Faut-il reprocher au général de Gaulle la création de la Sécurité sociale, dont les méfaits ne sont plus à démontrer quand on constate qu'elle a fait des Français des assistés et qu'elle compromet gravement la compétitivité économique de notre pays ? Sans doute pas si l'on considère dans quel esprit il l'avait fait. De Gaulle aimait à dire que les prélèvements obligatoires ne doivent pas dépasser le tiers de la production et il ne souhaitait pas, à l'évidence, que la Sécurité sociale se développât au point d'absorber à elle seule, aujourd'hui, le quart des ressources de la France. Mais il ne souhaitait pas non plus que les énarques, en qui il voyait des serviteurs de la nation, devinssent, grâce aux institutions de la Ve République, ses maîtres. En réalité, il semble bien que la logique de l'Etat fort, qui était la poutre maîtresse de la conception gaulliste du pouvoir, ait rendu inévitables tant le développement cancéreux de la Sécurité sociale que celui de l'administration. Tel n'aurait pas été le cas si De Gaulle avait assorti ses réformes du maintien de contre-pouvoirs effectifs, propres à s'opposer avec succès à l'emprise étatique sur la société. On prendra toutefois connaissance avec intérêt des conceptions du Général sur la Sécurité sociale, telles que son fils, Philippe de Gaulle, les rapporte dans son ouvrage " De Gaulle mon père ".

Claude Reichman

C'était à la fin juin de 1963, après la naissance de son quatrième et dernier petit-fils, Pierre. Il commençait à préparer à cette époque la conférence de presse qu'il devait donner à l'Elysée un mois plus tard sur l'Europe, l'Alliance atlantique et la situation économique et sociale. C'est ce dernier sujet qui l'a amené à la Sécurité sociale : " Quand je l'ai créée, s'est-il souvenu, j'avais les syndicats contre moi. Fidèles à leur tactique de lutte des classes, ils refusaient ce qui était octroyé et non pas arraché. Ils craignaient en outre de perdre le monopole des assurances sociales et des mutuelles catégorielles. Le système ne devait être qu'un premier pas en faveur d'une population trop fruste économiquement pour comprendre que chacun doit cotiser contre la maladie et le chômage et pour sa retraite. Aussi ai-je d'abord obligé les patrons à assurer les inscriptions et la plus grande partie des cotisations. Puis les modalités auraient dû basculer progressivement au cours des décennies jusqu'à ce que chacun assume en totalité ses responsabilités. L'employeur couvrant de toute façon ce qui est de la sienne c'est-à-dire les assurances contre les accidents professionnels. Pour les retraites, c'est à chacun touchant la totalité de ses gains ou salaires de cotiser ce qu'il peut, quand il veut à une caisse centrale d'Etat par exemple. " Ainsi, pensait mon père, n'aurait-on plus à discuter indéfiniment de la nature des activités de chacun ni de l'inclusion des primes ou indemnités dans la retraite. Naturellement, les chômeurs devraient être toujours secourus par l'Etat et les sommes versées par chacun pour sa sécurité seraient intégralement défiscalisées puisqu'elles ne sont pas des revenus disponibles. Je lui ai alors fait remarquer qu'avec ce système de responsabilité personnelle du citoyen il aurait eu un million de pauvres types qui n'auraient pas voulu, pas su ou pas pu cotiser par eux-mêmes. Il m'a répondu en laissant tomber ses grandes mains sur ses genoux d'un air las : "De toute façon, quel que soit le système, nous aurons toujours un million de pauvres types sur les bras mais on ne peut quand même pas ramener tout le monde à la minorité à la traîne. Pour celle-là, il faut, bien entendu, prendre des mesures de solidarité par répartition. " Quand il est parti, les syndicats se sont approprié la Sécurité sociale et l'ont noyautée. Il n'était plus là pour rappeler aux Français qu'ils la lui devaient.

Extrait de " De Gaulle mon père ", de Philippe de Gaulle, 578 pages, 24 € (Plon).

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