www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

27/7/14 Michael Stürmer

       Les horloges françaises tournent à l’envers !

La France et l'Allemagne sont voisines sur le Rhin mais s’il n’y a pas un effort conjoint de la part de leurs gouvernements et des autres États européens, rien n’ira plus comme auparavant. Prenons par exemple le cas de la monnaie commune. Cette dernière était considérée comme un apogée lointain pour les pères fondateurs de la Communauté économique européenne. Compte tenu des fluctuations du dollar dans les années 70, elle était un espoir de stabilité. Elle le reste à ce jour…

Dans la crise monétaire qui a succédé au deuxième choc pétrolier au début des années 80, les Français ont cherché le soutien des Allemands. En 1990, il y avait, pour faire court à propos d’une histoire qui est souvent compliquée, deux visions : Helmut Kohl voulait la réunification allemande et François Mitterrand la moitié de la Bundesbank. L’homogénéité, présupposée pour une union monétaire réussie, n’existait pas si ce n’est sous la forme des critères de Maastricht et de statistiques convenues. L'union politique demeure un idéal, l’union bancaire sera réalisée un peu plus tard et l’union fiscale doit encore surmonter l'égoïsme des Etats souverains.

Une enquête menée par l'institut de sondage Allensbach auprès des élites montre le gouffre qui sépare cet idéal de la réalité. Pour les 500 cadres supérieurs allemands interrogés, 76% d’entre eux considèrent que la France est le plus grand risque pour la stabilité économique en Europe. Ce pays devance de loin l'Italie et l'Espagne. Ce jugement est fondé sur le rôle de la France dans la crise de l'euro. (1)

La mémoire et l'histoire sont rarement évoquées dans tout cela. Ce sont finalement les traditions à travers les siècles, les mentalités, les formes de vie et les institutions qui tendent à ce que les Français ne parlent que le français et les Allemands que l’allemand.

Le bonheur de l'Europe est sa diversité mais elle est aussi son malheur. Dans le quart de siècle actuel qui succède à la fin de la guerre froide, les Allemands et les Français en font l’expérience.

La modernisation seulement à travers la planification.

Pourquoi la France est-elle si différente de ses voisins ? Pourquoi est-elle à la fois fascinante et irritante ? Pour le comprendre, il faut lire l'excellent ouvrage de Fernand Braudel, L'Identité de la France, qui a été traduit en allemand par l’éditeur Klett-Cotta. Voici quelques mots-clés. Le fait que le roi de France François I voulut être aussi un empereur carolingien peut être oublié. Jacob Fugger finança Charles V de la dynastie des Habsbourg, dont la devise était que le soleil ne se couche jamais dans son empire. Mais Louis XIV, surnommé le Roi Soleil, fut l'étonnement de l'Europe, au moins pour les princes allemands qui s’allièrent contre lui avec l'Angleterre. Frédéric le Grand parlait en allemand à ses chevaux mais en français avec ses courtisans. A cette époque, la France était en déclin contre la perfide Albion, la grande île au large des côtes de l'Europe.

Tout comme l'absolutisme de la royauté laissa une forte empreinte en France, la Révolution française provoqua une grande fracture avec l'Ancien Régime. Elle inventa les concepts de la modernité qui fut reprise à son compte par l’Empire, avec les avantages et les inconvénients associés à une dictature. La centralisation politique, la modernisation selon le plan, le mercantilisme économique, la stricte discipline dans l'éducation et la concurrence impitoyable, le tout dans une révolution conduite d'en haut qui s’oppose à toute critique émise d’en bas. (2)

Le Code Napoléon en 1804 – « l'Année XII de la liberté » selon la propagande - ce code civil infirma les conquêtes de la révolution dans un double désir de les préserver et de les annuler. Alors que la révolution industrielle en Europe parlait en anglais, la révolution politique s’exprimait en français. Mais les Allemands, quant à eux, firent l’expérience de la double face de la révolution : la promesse de la liberté avec la dictature de la noblesse. Sebastian Haffner résuma la réaction allemande en peu de mots : «Cela ne devrait jamais se produire et pourtant nous le subissons.»

Pour établir le centralisme et le mercantilisme, il fallait une forte bureaucratie. Aux cartels corporatistes de l’Ancien Régime succédèrent des petits agriculteurs considérés comme des profiteurs dans la redistribution des terres arables. Pour les classes moyennes, l’entrepreneur était un patron tout puissant. Pour la gauche française, il reste un mangeur d’hommes. (Menschenfresser)

Contrairement en Allemagne où les syndicats d’ouvriers sont parfaitement intégrés dans l’organisation politique et la société civile, leurs homologues français font toujours preuve d’une opposition inconciliable avec une économie de marché. (3)

Guerres civiles et insurrections

L’année 1848 dégénéra en guerre civile. Une autre lui succéda en 1871 entre la Commune de Paris (une révolte d’ouvriers) et le gouvernement de Bordeaux appuyé par la bourgeoise provinciale. En se montrant intraitable envers les révoltés qui furent fusillés, le gouvernement déclencha une haine qui perdure de nos jours. Le Front populaire des années 30 avait davantage une résonance romantique que haineuse. Cette période mit fin néanmoins au consensus patriotique incarné par l’union sacrée à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.

Il n'existe chez notre voisin ni capitalisme rhénan ni participation des travailleurs dans une économie de marché, mais certainement un Etat omnipotent. La survie d’un communisme virulent démontre surtout la prégnance sanguinaire des sans-culottes de 1789 dans l’imaginaire de ce pays alors que plus de deux siècles se sont écoulés depuis que le Directoire et Napoléon leur ont brisé l’échine. (4)

Dans ses nombreuses formes de vie, la Révolution française n'est pas encore terminée. La France profonde, la province profonde, a été paradoxalement renforcée par la révolution. Jusqu'à présent, elle ne montre aucune disposition à se fondre dans la mondialisation ou l'européanisation. Tout candidat à la présidence de la République doit montrer qu’il n’éprouve aucune crainte à caresser la croupe d’une vache récompensée dans un comice d’éleveurs. La Communauté économique européenne, le précurseur de l'UE, reposait sur une comparaison simple : d’un côté l'industrie allemande, de l’autre l'agriculture française.

Les horloges françaises tournent à l’envers. Pas plus les critères de Maastricht qu’une union monétaire ou bancaire ne vont changer cela, du moins encore pour un bon moment. L'art de gouverner à l’heure européenne, qu’il s’agisse de Berlin ou de Paris, sera toujours de surmonter les nombreux différends en trouvant un compromis. Une alternative n’est pas imaginable. (5) L'histoire de France oscille toujours entre royauté et révolution. Elle n'est pas encore terminée. (6)

Michael Stürmer

NDLR : L'auteur est officier de la Légion d'Honneur.

Notes du traducteur

(1) La France est l’ennemi public numéro un de la zone euro. Elle recherche toujours des alliances de revers pour assouplir la politique monétaire (« l’euro est trop fort pour nos entreprises qui sont plombées par la sécurité sociale, les taxes et la réglementation ») ou la politique budgétaire (« que la Commission européenne nous foute la paix avec son objectif de réduire notre déficit à 3% par an ! ») Hier, c’était Nicolas Sarkozy qui faisait alliance avec le socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero ; aujourd’hui, c’est François Hollande avec le socialiste italien Matteo Renzi. Toutefois, leurs efforts demeurent vains car la majorité des Etats européens préfèrent avec raison l’orthodoxie allemande au « laissez-faire institutionnel » à la française. Notons au passage que la France préfère nettement cette forme de flexibilité à celle du marché de l’emploi. Pourtant, notre ineptie chronique ne nous empêche pas de revendiquer le poste envié de commissaire européen aux affaires économiques avec la candidature de Pierre Moscovici. Ce dernier a échoué lamentablement à redresser l’économie du pays, avec un matraquage fiscal sans précédent, au lieu de tailler à la hache dans les dépenses publiques comme l’a fait le gouvernement de David Cameron au Royaume-Uni qui connaît une croissance de 3% en 2014 au lieu de 0% en France. Au risque de me répéter, le ridicule ne tue pas en France. C’est finalement une grande chance pour tous nos dirigeants.

(2) L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) remit provisoirement à l’honneur la France d’en bas contre la France d’en haut tenue par la haute fonction publique. L’arrogance des énarques s’est manifestée bruyamment par la sortie d’Alain Juppé demandant l’exclusion du député Henri Guaino de l’UMP. A quoi bon s’emporter quand le parti de la fausse droite est en faillite par la faute de dirigeants sans scrupule à l’égard des cotisations versées par ses adhérents ?

(3) Deux après son élection, le président Hollande fait toujours semblant de réformer le pays en organisant des tables rondes et des conférences sociales avec des syndicats révolutionnaires toujours prêts à paralyser le pays si l’on touche au moindre de leurs privilèges indécents. Quand aura-t-on en France un homme (ou une femme) à la poigne de fer pour les mettre enfin au pas ?

(4) La révolution de 1789 est un héritage macabre de l’histoire de France, avec les têtes des nobles que les Sans-culottes arboraient triomphalement au bout de leurs piques dans les rues de Paris. Elle reste malheureusement le symbole controversé de la république française avec son chant de la Marseillaise où le sang des royalistes et des troupes étrangères venues libérer notre pays de la tyrannie et du chaos économique engendré par cette révolution sanguinaire devait couler à flot dans les sillons de nos champs labourés. Lisez pendant vos vacances d’été le tome I des Mémoires de François-René de Chateaubriand consacré à cette période épouvantable, et aussi les réflexions sur la révolution française de l’Anglais Edmund Burke.

(5) Cette alternative que l’auteur n’ose entrevoir se profile pourtant à l’horizon avec la percée du Front national aux dernières élections. Ce parti revendique une autre Europe qui serait moins technocratique et plus protectionniste ; une contradiction évidente car tout protectionnisme repose sur une forte bureaucratie pour l’appliquer. Ce parti, sous l’égide de sa nouvelle présidente, est devenu un attrape-tout des mécontents, comme le fut en son temps le parti fasciste de Benito Mussolini en Italie. Ce dernier revendiquait à la fois son opposition au marxisme, au libéralisme et au conservatisme. Quand on est contre tout ce qui existe, on n’est rien du tout ! Une autre évidence que les Français apprendront à leurs dépends si ce parti arrive au pouvoir en 2017.

(6) Après la banqueroute de la France actée par François Hollande ou Marine Le Pen, l’instauration d’une monarchie parlementaire apaisée comme celle qui existe au Royaume-Uni serait évidemment préférable à une énième révolution qui balayera une Cinquième République moribonde et dissolue. Il faudra bien un jour enterrer la fracture dont la France souffre depuis 1789, laquelle fut provisoirement refermée entre 1815 et 1870, mais rouverte fortuitement en 1875 par l’amendement déposé par le député Henri Vallon à l’Assemblée nationale. Entre temps, je crains que nous soyons tous morts avant que la paix civile revienne un jour dans notre pauvre royaume qui n’est plus chrétien. Après la révolution des Sans-culottes, il est à craindre que la France n’expérimente une révolution religieuse conservatrice comme celle qui s’est déroulée en Iran en 1979. La France qui n’est déjà plus la fille aînée de l’Eglise catholique, sera bientôt celle d’un Islam radical qui grandit chaque jour dans les banlieues. L’auteur de cet article a raison de dire que la France fascine et irrite ceux qui s’intéressent encore à elle.



 
Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme