www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

26/11/13 Bret Stephens
                             Pire que Munich !

En 1938, Chamberlain acheta du temps pour se réarmer. En 2013, Obama donne du temps à l’Iran pour se doter de l’arme nucléaire. Pour reprendre Churchill : « Jamais dans l'histoire de la diplomatie mondiale on a fait tant de concessions pour si peu. »

La capitulation du Royaume-Uni et de la France devant l'Allemagne nazie à Munich a longtemps été synonyme d'ignominie, de décadence et de fiasco diplomatique. Pourtant, ni Neville Chamberlain ni Édouard Daladier n’avaient le soutien du public ou les moyens militaires pour résister à Hitler en septembre 1938. La Grande-Bretagne avait seulement 384 000 hommes dans son armée régulière, et le premier avion Spitfire venait à peine d’entrer en service dans la RAF (1). « La paix pour notre temps » ne l’était pas vraiment, mais cet apaisement lui donna un sursis d’un an pour se réarmer.

La signature des accords de paix de Paris en janvier 1973 fut la trahison d'un allié des États-Unis et l'abandon d'un effort pour lequel 58 000 soldats américains donnèrent leur vie. Cependant, il mit fin à la participation de l'Amérique à un conflit périphérique que ni le Congrès ni le public américain ne pouvaient soutenir indéfiniment. « La paix avec l’honneur» ne l’était pas vraiment, comme les victimes des camps de la mort cambodgiens ou les camps de rééducation vietnamiens peuvent en témoigner. Mais pour des fins américaines du moins, cela signifiait la paix.

En revanche, l'accord nucléaire intérimaire signé dimanche, à Genève, par l'Iran et les six grandes puissances a beaucoup de défauts comme ceux de Munich ou de Paris. Mais il n'a aucune teinte de rachat ou de disculpation.

Il faut prendre en considération le fait que la Grande-Bretagne et la France vinrent à Munich comme des puissances militaires faibles. Les États-Unis et ses alliés disposent d’une position de force écrasante par rapport à l’Iran. La Grande-Bretagne et la France avaient gagné un peu de temps pour se réarmer. Les États-Unis et ses alliés ont donné à l’Iran encore plus de temps pour enrichir de l'uranium et développer son infrastructure nucléaire. Les gouvernements anglais et français devaient prendre en considération qu’une majorité écrasante d’électeurs étaient en faveur de la paix à n’importe quel prix. Le gouvernement d’Obama défie la majorité dans les deux chambres du Congrès en faveur d’un accord à tout prix avec l’Iran.

En ce qui concerne le parallèle avec la guerre du Vietnam, l'armée américaine montra sa détermination pendant la période qui précéda les accords de Paris, avec une campagne de bombardements massifs et le minage du nord du pays pour démontrer la volonté présidentielle de forcer Hanoï à signer cet accord. Le gouvernement américain vient à Genève frais de sa déconvenue de recourir à la force pour punir la Syrie de Bachar al-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques contre son peuple.

L'administration Nixon quitta le Vietnam dans le cadre d'une ouverture durable avec Pékin qui rééquilibra le rapport de forces au détriment de Moscou. Maintenant les Etats-Unis tentent une ouverture fugace avec Téhéran au détriment d'une alliance durable de nos intérêts avec Israël et l'Arabie saoudite. «Comment perdre des amis et aliéner les gens» est le titre d'un mémoire hilarant de l'auteur britannique Toby Young, mais il pourrait aussi être l'histoire de la politique étrangère de Barack Obama. (2)

C'est là que les différences finissent entre Genève et les accords précédents. Ce qu'ils ont en commun est que chaque accord est une trahison envers un petit pays comme la Tchécoslovaquie, le Vietnam du Sud, ou Israël, dont la sécurité est garantie par les Occidentaux. Chaque accord est une victoire pour les dictatures. « Peu importe que le monde le veuille ou non », a déclaré dimanche le président iranien Hassan Rouhani, « ce chemin, si Dieu le veut, est un hommage rendu à nos martyrs de la communauté scientifique nucléaire». (3) (4) Chaque accord accrut le mépris des dictatures pour les démocraties : « Si jamais ce vieil homme stupide vient interférer encore avec son parapluie, je vais le faire tomber dans l’escalier et lui sauter sur le ventre », confia Hitler à son entourage après la visite de Chamberlain à Munich.

Et chaque affaire fut un prélude au pire. Après Munich vinrent la conquête de la Tchécoslovaquie, le pacte germano-soviétique et la Seconde Guerre mondiale. Après Paris est venue la chute de Phnom Penh et de Saïgon, et la sortie humiliante par le toit de l'ambassade. Après l’accord de Genève va émerger un nouveau Moyen-Orient chaotique où les Etats-Unis vont perdre leur influence sur leurs alliés.

A quoi cela va-t-il ressembler ? L’Iran va se libérer peu à peu des sanctions et se glisser dans une zone d'ambiguïté et d’ombre pour tromper ses adversaires sur ses intentions jusqu’au jour où il sera en mesure d’affirmer sa puissance nucléaire. L’Arabie Saoudite voudra agir rapidement auprès d’Islamabad pour acquérir une force de dissuasion nucléaire. Le prince milliardaire saoudien Alwaleed bin Talal l’a dit au Wall Street Journal quand il a indiscrètement commenté un arrangement avec le Pakistan. L’Egypte commence à réfléchir à se doter d’une force nucléaire tout en négociant une alliance de sécurité avec la Russie.

Quant à Israël, il ne peut pas se permettre de vivre avec un Iran nucléaire et avec à sa frontière un Hezbollah qui gagne en influence politique et militaire. Les risques qu’Israël attaque les sites nucléaires de l'Iran vont augmenter fortement après l’accord de Genève, et plus encore, ceux d'une nouvelle guerre contre le Hezbollah, l’allié de l’Iran au Liban.

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis créèrent des alliances de sécurité pour prévenir ce genre de politique étrangère indépendante qui devient rampante au Moyen-Orient. Ce système a bien fonctionné jusqu’au président Obama qui, dans sa sagesse, a décidé de le jeter aux orties. Si vous voyez des analogies avec les années trente après l’accord de Genève, c'est parce que l'Occident est dirigé par le même genre d'hommes, les parapluies en moins.

Bret Stephens
Wall Street Journal

Notes du traducteur

(1) RAF est l’acronyme anglais de la Royal Air Force.

(2) « Le Désastre Obama » de Guy Millière aux éditions Tatamis.

(3) C’est une allusion aux assassinats ciblés par le Mossad de scientifiques nucléaires de haut niveau auxquels le général iranien Qassem Suleimani a répliqué par l’explosion d’un bus transportant des touristes israéliens près de l’aéroport de Burgas en Bulgarie le 18 juillet 2012, qui fit sept morts. La méthode est révélatrice des méthodes employés par une démocratie et par une dictature : des frappes ciblées pour Israël, des frappes aveugles pour l’Iran.

(4) Le journaliste Dexter Filkins du New Yorker a fait une enquête élogieuse sur ce chef du renseignement militaire iranien dans son numéro du 30 septembre 2013 sous le titre «The Shadow Commander». Ce magazine est un test auprès d’un public cultivé de la politique intérieure ou extérieure de son président adoré. Pour ce chef militaire iranien qui s’est confié au journaliste américain, le maintien du régime en Syrie est vital pour le Hezbollah, le principal allié de Téhéran dans la région. Que l’on veuille ou non l’admettre en pratiquant la politique de l’autruche, l’objectif ultime de l’Iran reste la destruction de l’Etat hébreu quand il aura acquis la bombe nucléaire. Dans ce rapport de forces inégal, l’Iran a pour lui la ténacité et la duplicité, face à une opposition désunie et lâche qui ne pense qu’à négocier de juteux contrats commerciaux.

 

Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme