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28/9/12 Frank Shostak
    Injecter de la monnaie ne crée pas de richesses !

Jeudi 13 septembre 2012, la banque centrale américaine a annoncé qu'elle allait, sans limite de durée, augmenter ses avoirs de titres à long terme en rachetant chaque mois pour un montant de 40 milliards de dollars de dettes hypothécaires afin de relancer la croissance et de faire baisser le chômage.

Au cours de sa conférence de presse, qui suivait une réunion de deux jours du Federal Open Market Committee (FOMC), le président de la Réserve fédérale a précisé que la banque centrale US continuera sa politique d'achats, et pourra même l'étendre à d'autres types d'actifs, ou même la compléter par l'usage d'autres outils d'intervention, tant que le marché du travail ne donnera pas des preuves d'amélioration substantielle.

Selon lui, ces rachats de dettes hypothécaires devraient aider le marché de
l'immobilier – l'un des pistons défaillants du moteur de la croissance - à repartir. Bernanke pense que ces rachats de titres adossés à des créances immobilières devraient faire baisser les taux des prêts hypothécaires et ainsi relancer la demande de logements, avec leur financement.

Certains experts sont d'avis que la Fed pourrait aller jusqu'à racheter pour plus de 1000 milliards de dollars de dettes compte tenu du caractère indéterminé de la durée de cette opération.

Cette nouvelle politique de la Fed a été inspirée par les récents travaux du Professeur Michael Woodford, de Columbia University, qui s'interroge sur les choix politiques possibles qui restent à la banque centrale lorsque les taux d'intérêts sont proches de zéro. Selon Woodford, la meilleure manière de remédier à une crise économique qui s'éternise, malgré tous les efforts faits pour en sortir, est de maintenir une politique monétaire extrêmement accommodante pendant une période de temps plus longue que ce qu’en d'autres circonstances on considère généralement comme normal.

Selon cette manière de voir, de telles opérations de rachats d'actifs à durée non déterminée à l'avance devraient ranimer la confiance des consommateurs et des entreprises américaines en leur démontrant la détermination de la banque centrale à réellement sortir l'économie de son marasme. A écouter Bernanke (qui se fait l'écho de Woodford) cela devrait inciter les gens à investir, embaucher et dépenser davantage.

Dans ce schéma, le principal obstacle à la reprise de la croissance vient de la faiblesse de la demande de biens et services. Le problème est de savoir comment la relancer. Et ce que l'on nous dit est que, pour cela, il suffirait de convaincre les consommateurs et les entreprises que la Fed a effectivement entre ses mains les outils et les connaissances nécessaires pour réussir à ranimer l'économie et renforcer le marché du travail.

Même si Woodford a raison et si, dorénavant, les consommateurs et les entreprises acceptent de gonfler leur demande parce qu'ils sont désormais convaincus que la Fed est déterminée à arrêter le déclin de l'activité économique, il n'est pas pour autant dit que cela marche. Nous pensons que cela ne peut suffire à relancer de manière significative la demande en tant que telle. Ce qu'il faut, c'est quelque chose qui renforce la demande effective des gens, celle qui découle d'une augmentation préalable de la production réelle de biens et services concrets.

Rappelons-nous ce qu'écrivait James Mill :

« Lorsque les produits sont portés au marché, ce que le vendeur recherche est quelqu'un qui les achète. Pour les acheter, il faut avoir de quoi les payer. Il va alors de soi que la somme des moyens de paiement collectivement disponibles définit l'ensemble du marché qu'offre la nation. Mais en quoi consistent ces moyens de paiement dont dispose collectivement la nation ? N'est-ce pas tout simplement l'ensemble de ce qui est produit chaque année, le revenu annuel de l'ensemble des ses habitants qui en définit l'enveloppe ? Mais si le pouvoir d'achat d'une nation se mesure exactement par ce qui y a été produit au cours d'une année, il en résulte que plus on augmente la production annuelle, plus cet acte contribue à élargir aussi bien le marché national, que le pouvoir d'achat de la nation, ainsi que le volume réel d'achats qui y sont effectués. Il apparaît ainsi que la demande d'une nation est toujours égale à ce qui y est produit. Il ne peut en être autrement, car qu'est-ce que la demande d'une nation, sinon l'expression de son pouvoir d'achat ? Et qu'est-ce que ce pouvoir d'achat, sinon l'expression de ce qui y est produit ? Demande et offre correspondent donc toujours exactement l'un à l'autre. » (1)

La demande de biens et de services ne peut augmenter que si la production de biens et de services a préalablement augmenté. Par exemple, un individu peut augmenter sa demande de pain parce qu’auparavant il a fabriqué et vendu plus de chemises. Un boucher peut augmenter sa consommation de pommes de terre parce que, préalablement, il a vendu plus de viande qu'il peut échanger contre plus de patates.

Par ailleurs, ceux qui produisent des biens finaux peuvent aussi les échanger contre d'autres biens tels que des outils ou des machines qui leur permettront d'augmenter et d'améliorer leur offre, ce qui permettra à son tour d'accroître la production de biens finaux qui serviront aux gens à améliorer leur style de vie.

Le plan Bernanke-Woodford, fondé sur une utilisation incessante de la pompe à monnaie, va avoir pour conséquence d'affaiblir la capacité de l'économie à produire les biens et services finaux qui correspondent aux préférences des consommateurs. Ce qui aura pour effet de réduire plutôt que d'accroître la demande effective de biens et services.

Il va de soi que si la capacité à produire des biens et services diminue, il n'est plus possible de donner un coup de fouet à la demande. On peut essayer de convaincre les individus que, grâce à son utilisation de la pompe à monnaie, la Fed va ranimer l'économie et que, dès lors, il est de leur intérêt de commencer à acheter davantage de biens et de services. Mais si le répondant, en termes de production, n'est pas déjà là - c'est à dire s'il n'y a pas eu au préalable une augmentation de la richesse réelle en termes de biens réels de consommation – cela ne servira à rien, car rien ne permettra à la demande globale d'augmenter.

Si le boulanger a seulement mis de côté (c'est à dire économisé, épargné) dix pains, il ne peut les convertir en demande d'autres choses que pour autant que la valeur de ces autres biens correspond à la valeur de ces dix pains. Pour en obtenir davantage, il doit donc d'abord produire et mettre de côté davantage de pains.

La question qu'il faut se poser est de savoir pourquoi, après que la Fed a réduit ses taux à zéro et injecté plus de 2000 milliards de dollars dans le système monétaire, l'état de l'économie reste toujours aussi mauvais.

La plupart des économistes et des experts répondent qu'il s'agit d'une situation exceptionnelle provoquée par l'accumulation de divers chocs mystérieux. On veut nous faire croire que sans la vigoureuse politique monétaire de la Fed l'économie US se serait enfoncée dans une dépression encore bien pire : contrairement aux critiques, la politique de Bernanke aurait bel et bien sauvé le pays et se serait donc montrée particulièrement efficace.

Notons cependant que le président de la Fed est d'avis que, dans la situation actuelle, la politique monétaire se révèle être un outil de moins en moins efficace, et qu'il convient donc de la soutenir par la politique budgétaire. En particulier, Bernanke a mis en garde contre les effets pervers qui pourraient résulter de l'application des dispositions législatives actuelles sur les réductions budgétaires et augmentations d'impôts automatiques qui devraient intervenir en fin d'année. Le président de la Fed craint que ses efforts actuels de relance ne suffisent plus à soutenir l'économie face au double choc que la mise en œuvre de telles dispositions provoquerait.

Nous pensons que c'est une idée complètement fausse que de croire que les interventions monétaires de Bernanke ont empêché l'économie américaine de sombrer dans une sévère dépression. Tout ce que sa politique a fait est d'empêcher la disparition de toute une série d'activités de production en réalité non productrices de valeur et destructrices de richesse et dont l'émergence avait été encouragée par l'hyper laxisme des précédentes politiques monétaire et budgétaire.

Il est évident que, si Bernanke ne s'était pas pointé avec son gros bazooka monétaire, et ne s'était pas lancé dans une politique d'injection massive de monnaie, une grande partie des fausses activités portées par les effets de bulle aurait aujourd'hui déjà disparu. Des richesses réelles auraient ainsi été libérées qui auraient pu être reprises par les vrais créateurs de richesse et qui auraient été disponibles pour assurer un véritable redémarrage de la croissance économique. La capacité réelle de l'économie à générer la production de richesses supplémentaires en aurait été renforcée d'autant.

En recourant à une nouvelle opération d'injection massive de monnaie, Bernanke court le risque d'aggraver encore davantage la situation et de compromettre encore plus le processus de création de nouvelles richesses réelles. Ce qui accroît la perspective de voir l'économie américaine s'enliser pour longtemps dans la dépression.

Il faut bien comprendre qu'injecter encore plus de monnaie de manière encore plus agressive ne servira en rien à corriger les dégâts économiques infligés à l'économie par les mauvaises politiques monétaire et budgétaire du passé. De même, ce n'est pas le fait de rétablir la crédibilité de la banque centrale aux yeux des gens qui y changera quoi que ce soit. Ce qu'il faut pour remettre l'économie en marche, ce sont deux choses : d'une part, empêcher la banque centrale de créer toujours davantage de fausse monnaie (de l'argent qui sert à financer des activités qui ne sont plus productrices de valeur réelle, ou qui ne l'ont jamais été) ; et, d'autre part, réduire jusqu'à l'os les dépenses de l'Etat.

Résumé et conclusion

La banque centrale US a annoncé qu'elle allait, chaque mois, racheter pour plus 40 milliards de dollars de prêts hypothécaire et que cette politique, de durée non déterminée, se poursuivrait jusqu'à ce que la situation du marché de travail s'améliore de manière notable. L'idée de Ben Bernanke, le président de la Fed, l'homme qui vient de mettre en œuvre cette politique, est que cela devrait permettre de réactiver l'économie. Il est douteux que cet objectif puisse jamais être atteint compte tenu de ce que le retour à des taux d'intérêt zéro et les 2000 milliards de dollars injectés dans l'économie depuis 2008 ont jusqu'à présent totalement échoué. Nous pensons qu'en ayant ainsi recours à une nouvelle injection massive de monnaie, Bernanke prend le risque d'infliger à nouveau à l'économie américaine des dommages irréparables. Cela a pour conséquence d'accroître considérablement la probabilité que les Etats-Unis s'enlisent durablement dans un état d'économie déprimée.

Frank Shostak
(Traduit de l’anglais par Henri Lepage)

(1) James Mill, “On the Overproduction and Underconsumption Fallacies”. Edited by George Reisman, a publication of the Jefferson School of philosophy, Economics and Psychology – 2000. Il s'agit de la formulation par James Mill (père de John Stuart Mill) de la fameuse "loi des débouchés" dite "Loi de Say".


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