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5/2/12 Thomas J. Sargent
           Faillite des Etats : l'exemple américain !

En 1789, le prix politique pour notre constitution fédérale comprenait un plan de sauvetage des treize Etats endettés. Mais c’est en refusant de renflouer les Etats une seconde fois, dans les années 1840, que les Etats-Unis ont pu conserver leur système fédéral et l'indépendance financière des gouvernements de ces États. Face à un moment semblable, l'Europe pourrait apprendre de notre expérience.

Le plan de sauvetage de 1789 fut un grand marchandage conçu par Alexander Hamilton pour convertir les créanciers des treize Etats en défenseurs d'une plus forte aptitude du gouvernement fédéral à mobiliser toutes les ressources du pays nécessaires pour rembourser les dettes importantes que le Congrès continental et les treize États avaient accumulées afin de financer cette «glorieuse cause » qu’était notre guerre d'indépendance.

Hamilton et George Washington voulaient que ces dettes fussent remboursées. (1) Ils durent concevoir des changements institutionnels pour atteindre cet objectif. En vertu de notre première Constitution, le gouvernement continental n’avait pas le pouvoir de lever un quelconque impôt. Pour les revenus, le gouvernement fédéral dépendait des contributions volontaires des treize Etats.

Environ les deux tiers de nos dettes étaient dues par le gouvernement continental, l'autre tiers par les treize Etats. Ces dettes constituaient environ 40% du produit intérieur brut. Mais parce que les recettes fiscales n’étaient pas assez grandes pour assumer le service de la dette, ces dettes furent renégociées avec un rabais plus important que celui que nous voyons aujourd'hui en Europe. Les crises budgétaires se règlent souvent par des arrangements qui visent à casser de vieilles promesses et à soutenir celles qui sont réalistes.

Le rapport de 1790 de Hamilton sur le crédit public décrivit ce grand marchandage et les raisons en faveur du changement. Il servit de matrice à la nouvelle Constitution des États-Unis, qui déplaça le pouvoir exclusif de prélever les droits de douane des États au profit du gouvernement fédéral. En retour, le Congrès des Etats s’engagea à honorer leurs dettes en août 1790. Le gouvernement fédéral imposa immédiatement un tarif douanier et il utilisa la moitié de ces recettes au service de la dette. Les dettes des Etats et du gouvernement fédéral furent renégociées avec un rabais très important au début des années 1790.

Pourquoi Hamilton et Washington voulaient-ils honorer nos dettes ? Parce qu'ils voulaient que le gouvernement des États-Unis se fît une bonne réputation vis-à-vis de ses créanciers. Hamilton estima qu’honorer les dettes permettrait au gouvernement fédéral d'emprunter à de bonnes conditions à l'avenir. Cette capacité d’emprunter devait générer une souplesse budgétaire en créant une source de revenus supplémentaires aux recettes qui pourrait être utilisés pour financer des surtensions dans les dépenses publiques liées à des guerres ou à d'autres difficultés du moment.

Pourquoi Hamilton et Washington voulaient-ils que le gouvernement fédéral renflouât les treize Etats ? Parce qu'ils voulaient réaligner leurs intérêts de manière à induire les électeurs à soutenir un gouvernement fédéral ayant la capacité suffisante de lever des impôts.

Ils ont ainsi construit une bonne réputation aux États-Unis mais en créant l’idée dangereuse que le gouvernement fédéral viendrait toujours renflouer les Etats. Bien que le compromis fût réalisé principalement pour des raisons politiques, l'un des motifs énoncés par Hamilton pour renflouer les Etats est que la plupart de leurs dettes avaient été contractées pour un bien public national : l'indépendance financière à l’égard de la Grande-Bretagne. Etait-ce la raison authentique ou était-ce juste une couverture commode, une rationalisation masquant le but ultime de Hamilton de convertir les créanciers des gouvernements des États en défenseurs de la capacité du gouvernement central de lever l'impôt ? (2)

Une croissance rapide s’ensuivit au XIXe siècle. Pour financer les canaux et les chemins de fer, les gouvernements de nombreux Etats contractèrent des dettes importantes dans les années 1820 et 1830. Une crise financière à la fin des années 1830 incita les Etats fédérés à faire défaut sur leurs dettes.

Faisant appel à la jurisprudence fixée par le plan de sauvetage de 1789, les créanciers des États demandèrent au gouvernement fédéral de les renflouer une nouvelle fois. Après un débat houleux au début des années 1840, le Congrès refusa de leur venir en aide et de nombreux Etats répudièrent leurs dettes.

Dans la foulée de ces reniements, de nombreux Etats réécrivirent leur Constitution pour exiger un budget équilibré, quelque chose qu'ils n'avaient jamais fait auparavant. Comme indiqué précédemment, les crises financières comme celle de l'Europe d'aujourd'hui, produisent souvent des marchandages politiques qui se règlent de façon pacifique.

Etait-ce une bonne chose que le gouvernement fédéral refusât de renflouer les Etats au début des années 1840 ? Ce faisant, le gouvernement fédéral réaffirma son autorité vis-à-vis des Etats dispendieux, en leur disant qu’ils n’avaient rien attendre de lui pour entretenir leur prodigalité. Dans le court terme, cette décision coûta sensiblement à la réputation du gouvernement fédéral à l’égard de ses créanciers. Le crédit fédéral à l'étranger souffrit autant que le crédit des États fédérés incriminés. Mais dans le long terme, la décision imposa aux gouvernements des États fédérés une plus grande discipline et rendit moins probable les demandes de plans de sauvetage.

Si le gouvernement fédéral avait choisi de renflouer les Etats une seconde fois, il aurait sans doute pris le contrôle des finances de ces Etats afin d'éviter un autre plan de sauvetage. (3) Le refus de renflouer les Etats est le pivot du maintien d'un système fédéral aux États-Unis. Il a conduit les Etats à se discipliner en réorganisant leur Constitution de manière à conserver leur liberté et leur responsabilité de taxer et de dépenser au sein de limites infranchissables.

Aujourd'hui les Européens pourraient être tentés de dire «oui» à ces renflouements. Ou ils pourraient aussi se rappeler que les Américains ont conservé leur système fédéral en disant «non».

Thomas J. Sargent

Notes du traducteur :

(1) La décision de Washington d’honorer la dette déclencha une révolte des paysans pauvres dans le Massachusetts. Conduite par Daniel Shay, cette rébellion fut matée dans le sang par la milice, car il n’y avait pas d’armée à cette époque. Je relate ce passage méconnu de l’histoire des Etats-Unis dans mon dernier livre « Waffle Print ».

(2) La position de Paris est très proche de celle d’Hamilton en faveur d’un gouvernement central européen ayant de très fortes prérogatives, attentatoires aux libertés individuelles et collectives. En France on adore l’Etat technocratique que l’on voudrait répliquer au niveau fédéral. L’Etat totalitaire décrit par George Orwell est le modèle méconnu des Français.

(3) La décision des leaders européens de ne pas suivre le plan du ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, de mettre sous tutelle la Grèce est incohérente. Une énième aide de ce pays n’est pas envisageable sans une indispensable mise sous tutelle financière d’Athènes. Si Athènes la refuse parce qu’elle la juge humiliante, elle n’a qu’à quitter la zone euro et se débrouiller toute seule avec ses créanciers. Les contribuables européens en ont ras le bol de payer pour les Grecs.

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