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4/4/12 Olivier Pichon
                  Lettre ouverte à mon député, membre de l'UMP
             Entendez-vous gronder les Français ?

Monsieur le Député,

J'ai trouvé dans ma boîte aux lettres votre abécédaire financé, j'imagine, par les deniers publics, et je me permets de vous en adresser quelques commentaires, dont un particulièrement.

Je suis tombé d'accord sur quelques uns des articles qui font consensus ou bien sur d'autres qui sont d'une telle généralité que tout le monde peut en convenir.

Une précision qui me permettra de me situer : j'ai voté en 2007 pour l'actuel président de la République.

Je m'arrêterai, comme professeur d'économie dans l'enseignement supérieur, sur l'un de vos articles qui, je suis obligé de vous le dire, eût valu une très mauvaise note à l'étudiant qui l'aurait rédigé. Il s'agit de l'article consacré à l'euro, et en voici les raisons.

Vous commencez par affirmer que l'euro est notre monnaie commune, ce qui est une erreur puisque cette monnaie est une monnaie unique. Deux solutions donc : ou l'auteur de l'article se trompe par ignorance, ou il nous trompe volontairement. L’euro n'est pas, par ailleurs, le symbole de la construction européenne. D'abord parce que tous les pays de l'Europe ne sont pas dans le système de l'euro (République tchèque, Grande -Bretagne...), ensuite parce que ce sont les échanges intra européens qui en constituent la forme la plus achevée depuis le traité de Rome, le plus ancien de nos traités fondateurs. Sur le fond ensuite, vous me permettrez de penser que les peuples européens en ont payé un prix trop élevé, et je vais m'en expliquer un peu plus loin.

Vous avancez, très imprudemment, que cet euro est« un rempart en cas de crise économique ou financière». Ce propos empreint de psittacisme serait comique si la situation n'était à ce point tragique. A tout le moins l’euro n'a-t-il pas servi de rempart dans la crise qui nous frappe et, plus encore, vous ne pouvez ignorer qu'il a sa responsabilité dans la crise des dettes souveraines.

En effet chacun sait que les règles budgétaires sont facilement contournables dans nos républiques où le parlement est affaibli face à la toute puissance de l'administration, et vous ne pouvez ignorer que les dispositions réglementaires du pacte de solidarité, à savoir ne pas dépasser 3% de déficit public, ont été balayées par ceux-là même qui les avaient instaurées, avec en tête M. Chirac.

L'histoire nous enseigne et la nature humaine nous apprend qu'une sanction ne peut être efficace que si elle provient d'une autorité extérieure à ceux qui commettent la faute, en l'occurrence des marchés. Ils nous eussent sanctionnés sur nos monnaies si nous les avions conservées, cela dès 2004/2005. Ainsi la protection artificielle que constituait la monnaie unique a constitué « un pousse au crime budgétaire » : il s'agissait ni plus ni moins d'une socialisation de la dette à l'échelle européenne, dont la Grèce a été l'illustration la plus caricaturale.

Si en effet nous étions restés sur une monnaie commune, l'euro pour nos transactions internes et nos monnaies nationales conservées (donc des taux de changes et des taux d’intérêts différents) pour servir de variable d'ajustement en fonction de nos performances, la situation serait moins grave. C’est là en effet que les marchés nous eussent sanctionnés, enrayant notre propension à nous endetter auprès des dits marchés par la dévaluation consécutive de notre monnaie nationale. Au lieu de cela, la variable d'ajustement s’exerce sur les peuples, comme cela se fait en Grèce, en Espagne, au Portugal et bientôt, après les élections, en France. J’inclus dans le peuple la classe moyenne dont la crise, sans précédent dans l'histoire nationale, est porteuse de lourds orages !

Ainsi l'euro n'est pas un rempart mais une brèche dans la compétition mondiale, contrairement à vos affirmations et, de surcroît, il n'est pas « un atout considérable pour le développement de la France » comme vous le prétendez : il suffit de considérer, avant la crise, les taux de croissance européens pour constater leur anémie depuis 2002.

Néanmoins la sanction a fini par survenir plus tardivement et plus gravement sous la forme de la crise des dettes souveraines et des taux qui vont remonter après les élections, rendant impossible de nouveaux emprunts et le règlement de la dette, près de 3000 milliards en comptant les retraites des fonctionnaires qui, non provisionnées, devront être imputées aux futurs budgets et donc payées par nos enfants !

Je vous concède qu’abandonner l’euro serait risqué dans l'actuelle situation, car les marchés déprécieraient le franc aussi logiquement que notre signature, sous l'euro, s’est dégradée. Quant à l'explosion du chômage que vous brandissez, elle est déjà là et pour les mêmes raisons.

Enfin vous concluez votre propos en indiquant que «cette monnaie commune nécessite la mise en place d'une gouvernance...». Ici c'est un abus de langage, car une monnaie commune n'a pas besoin de la mise en place d'une gouvernance européenne. C'est en effet la monnaie unique qui le nécessite, et ce que vous appelez gouvernance, il faut avoir l'honnêteté de le dire, consiste à confier à une commission européenne ad hoc et à un haut commissaire (encore des fonctionnaires !) la charge de contrôler le budget de la France, ce qui est contradictoire ou doublonne avec la règle d'or que vous citez par ailleurs.

Dans ces circonstances, vous ne dites pas que c'est la fin d'un des derniers pans de notre souveraineté nationale (pourquoi pas, si telle est l'intention du pouvoir !). Mais dans ces conditions, nous pouvons faire l'économie, à tous les sens du terme, de la représentation parlementaire, puisque le parlementarisme est par nature, depuis son émergence au XVIIIe siècle, l'art de contrôler le budget (« nul impôt sans consentement »). Il me semble donc que vous devriez vous contenter de votre rôle de conseiller général dans un contexte où l'opinion ignore que déjà, par le jeu des services votés et de la toute puissance de l'exécutif, le contrôle budgétaire par la représentation nationale est très ténu.

La crise que nous vivons est, au-delà de la crise budgétaire, une crise de l’État- providence européen et de l’État en France. Or, à vous lire, vous n'avez d'autre solution que d'alourdir un peu plus les prélèvements obligatoires (45 % du PIB, record mondial !).

Plus loin, dans votre « poulet », vous nous parlez de solidarité. A ce sujet, deux remarques :

1. Quel mérite avons-nous à être solidaires si nous y sommes contraints par la loi ? Il vaut mieux parler de transferts sociaux. En l’occurrence vous vous montrez généreux avec l'argent des autres!

2. Avez -vous fait le rapprochement entre toujours plus de prélèvements et plus d'ayants-droits à ces mêmes prélèvements (voir le rapport du 29 mars 2012 de l'Observatoire de la pauvreté en France : plus de 11 millions de personnes !) ? En tant que député vous avez le devoir de vous interroger sur l'efficacité et le devenir de ces prélèvements qui, en bonne logique, devraient décliner à mesure que croissent les redistributions.

Au demeurant, ces analyses ne sont rien au regard de ce qui nous attend, dont personne ne parle dans cette élection et dont je ne vois que des traces trop discrètes dans votre abécédaire : la dette sociale, la dette publique, les tensions sur les taux, bref une crise sociale majeure dont la classe politique, toutes tendances, absolument toutes confondues, ne veut pas parler par autisme, lâcheté, indifférence, coupée qu’elle est des réalités par le confort de ses rémunérations. Quel artisan de mon village, quel salarié, quel agriculteur peut-en effet gagner 16.269 euros, ce qui constitue la rémunération mensuelle moyenne d'un député, comme peu de gens le savent ?

Monsieur le député nous sommes dans une situation analogue à celle des années qui ont précédé 1789. La question est maintenant de savoir si nous voulons, comme les Français jadis et surtout leurs dirigeants, ne pas écouter le chancelier Maupeou, le ministre Turgot et nos réformateurs. Alors nous aurons les sans -culottes, la section des piques et les guerres de la révolution. Je vous laisse le soin de transcrire en langage contemporain les potentialités de troubles que recèle notre pays.

Vous nous parlez du terrain. J’y suis moi aussi, sans aucune autre raison que celle de la vie sociale. Eh bien croyez le, ce «terrain », il gronde, et ceux qui grondent ne sont pas les électeurs fourvoyés à l'extrême gauche ou droite, non, ce sont les vôtres !

Olivier Pichon
Professeur agrégé de l'université

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