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21/1/13  
Dans les coulisses de la négociation conventionnelle !

Ayant récemment été élu au poste de 1er vice-président de l’ISNCCA (Inter Syndicat National des Chefs de Clinique Assistants), j’ai eu la chance d’assister en tant que « spectateur » aux fameuses négociations conventionnelles ayant eu lieu du 5 septembre au 17 octobre 2012 sur l’épineux sujet des dépassements d’honoraires…Avant que certains ou certaines d’entre vous ne stoppent leur lecture dès ces premières lignes, je tiens à vous rassurer : loin de moi l’idée d’écrire un texte « syndical » prenant position pour ou contre les sujets abordés dans ces négociations, je souhaite juste écrire et faire savoir comment se sont déroulées ces prises de décisions, car la méthode me semble hélas affligeante pour nous tous…

Je ne citerai donc volontairement aucun nom de syndicat ou de personne et ne porterai aucun jugement sur les décisions prises, mais sur la façon dont elles ont été prises.

En juillet 2012, une fois les élections présidentielles et législatives passées, est annoncée l’ouverture de négociations conventionnelles « exceptionnelles » (elles ont normalement lieu tous les 4 à 5 ans, les dernières ayant eu lieu en 2011) sur le sujet des dépassements d’honoraires. Les structures « jeunes » (syndicats d’externes, d’internes et de jeunes médecins hospitaliers ou remplaçants) sont pour la première fois invitées en tant que « spectateurs » à ces discussions, par volonté ministérielle.

Les réunions doivent se tenir en septembre-octobre. Les autres structures siégeant à cette table sont les syndicats de médecins libéraux (selon leur représentativité aux élections syndicales), les complémentaires santés (mutuelles et assurances) et l’Assurance Maladie (la Sécurité Sociale, grande organisatrice du débat, alors que les dépassements d’honoraires ne lui coûtent pas un centime…).

Ces négociations ont été menées avec comme objectif la signature d’un accord conventionnel sur l’encadrement des dépassements d’honoraires (à signer par la majorité des participants signataires, pour que l’accord soit valable), et il a été annoncé d’emblée par la ministre de la Santé qu’en l’absence de signature, un texte de loi serait présenté devant les députés (sous-entendu : bien pire qu’un accord entre médecins…). Il faut noter que la somme d’un million d’euros sera « offerte » par l’Assurance Maladie aux syndicats qui accepteront de signer un accord.

Je suis donc amené en tant que représentant de l’ISNCCA à participer à ces réunions.

Parallèlement à cette annonce et avant le début des débats, je suis alors invité à rencontrer les différents syndicats siégeant à ces négociations, afin de leur faire connaître nos positions et les sujets d’inquiétude des jeunes assistants - chefs de clinique que l’ISNCCA représente. Ainsi, dès la fin de l’été, un de ces syndicats nous annonce que tout est déjà décidé et signé (en nous listant les mesures qui seront contenues dans l’accord), et que nous pouvons être rassurés…A quoi vont donc servir ces nombreuses réunions ?

De la même manière, nous sommes reçus par le ministère de la Santé, où, entre deux portes, on nous affirme : «On sait très bien qu’il n’y a aucun problème avec les dépassements d’honoraires…mais il faut qu’on fasse quelque chose et qu’on communique dessus ! »

De mieux en mieux…à quoi vont vraiment servir ces réunions ?

Début septembre commence alors la longue série de réunions hebdomadaires… ou plus exactement la « pièce de théâtre », version officielle des fameuses négociations conventionnelles.

Pendant six semaines, une cinquantaine de représentants des structures participantes se réunissent à Paris, et chaque semaine sont présentées les mêmes données, les mêmes propositions…et ont lieu les mêmes débats, les mêmes énervements… mais aucune annonce de ce que seront réellement les propositions finales, ni aucun vrai débat sur ce qu’elles pourraient être… A quoi servent ces nombreuses réunions ?

Néanmoins, en dehors des séances « officielles » de négociations, des déclarations dans la presse sont faites par les uns, les unes ou les autres, annonçant des mesures cruciales qui ne sont même pas débattues en séance de négociations… A quoi servent donc ces réunions ?

Le 17 octobre, bouquet final et ultime séance de négociations où « un accord doit être signé…sinon il y aura une loi » ! La séance débute donc à 18h00, sous les feux des nombreux journalistes et les cris des manifestants…

On nous a dit de prévoir la nuit, apparemment c’est une habitude de ces négociations conventionnelles, à croire qu’une fois tous les cinq ans, le personnel de la Sécurité sociale veut savoir ce que cela fait « d’être de garde »… La soirée commence, sans annonce nouvelle par rapport aux réunions précédentes, les plateaux repas sont offerts par la Sécu (bien meilleurs que les repas de salles de garde) et les heures passent.

Et vers 4 heures du matin, les choses sérieuses commencent : on annonce enfin ce qui « doit » figurer dans le texte, par ordre de la ministre qui, en fait, téléguide tout par téléphone portable interposé ! Et entre autres, on annonce le chiffre de 150 % comme limitation potentielle des dépassements d’honoraires…

Et là…alors que la « meute » des participants reste dans la pièce principale, les petites discussions dans les pièces secrètes commencent ! Je suis invité à participer à certaines d’entre elles, où l’on nous promet de faire quelque chose pour telle ou telle de nos demandes… avant de nous rendre un texte modifié ne tenant pas du tout compte de ces demandes, voire rajoutant des points encore plus délétères à notre égard !

Les discussions en « petits comités » se poursuivent donc jusqu’à l’aube : on discute les termes du texte, le texte est renvoyé en écriture, et on nous redistribue le texte (30 pages en petits caractères, sans aucune notification des modifications faites par rapport à la version précédente… et avec parfois des modifications « sauvages » ajoutées sans prévenir…), qu’il faut relire, à 6 heures du matin, pour ne pas laisser passer des coquilles !

Les discussions sont encore en cours, quand au journal du matin, nous voyons la ministre en train d’annoncer qu’un accord historique est en train d’être signé… alors que les discussions pour savoir s’il y a signature ou pas sont en cours ! En clair, aucun texte de loi n’a dû être préparé et il faut que ces accords aboutissent… ! A quoi vont vraiment servir ces réunions ?

Les négociations continuent âprement dans la matinée avec les quelques résistants, debout depuis désormais 30 heures, et là, coup de théâtre : tout le monde quitte la table, refusant de signer un quelconque accord et les responsables des syndicats médicaux rentrent chez eux…alors qu’on avait annoncé le matin à la télé qu’un accord était en train d’être signé, ça craint… !

Chacun va donc prendre son train ou son avion, et en début d’après-midi, rebondissement inattendu : sur « ordre », tous les participants doivent revenir à la table des négociations ! Ceux qui sont encore à Paris rappliquent donc, certains gèrent (comme depuis le début…) par téléphone interposé…

Et surprise : on annonce des « concessions », refusées jusqu’alors, qui soudainement vers 17 h, le 18 octobre, après 36 heures sans sommeil, permettent d’obtenir la « signature » des personnes présentes…

Voilà comment se sont passées les fameuses négociations conventionnelles sur les dépassements d’honoraires : des semaines de réunions inutiles sans réel débat, où des dizaines de personnes ont dû se faire remplacer dans leurs cabinets et dans leurs blocs opératoires, venir et se loger à Paris, et à la fin, une « garde » de 36 heures où toutes les décisions les plus importantes pour les patients et les médecins ont été prises, dans une ambiance générale de pression et de fatigue…

Voilà comment les décisions sont prises : mérite-t-on cela ?


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