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16/4/08 Bernard Martoïa

Le marché au secours de la vieille Europe asthmatique

Le changement climatique préoccupe beaucoup d’esprits. Va-t-on avoir un été caniculaire ? Dieu seul peut le savoir. Les prévisions climatiques ne pourront jamais dépasser jamais une dizaine de jours en raison de la nature chaotique du climat. Tant mieux ! Rien ne serait plus aliénant pour nos âmes que le futur soit déjà écrit.

Malgré les grandes messes onusiennes, rien ne semble en tout cas arrêter le réchauffement de la planète : les glaciers reculent et la calotte glaciaire se rétrécit comme une peau de chagrin. Le succès planétaire rencontré par Knut et Flocke, les deux oursons polaires du zoo de Berlin, montre le chemin parcouru, en moins d’une décennie, dans la prise de conscience collective. Dans son édition du 18 janvier 2000, le Wall Street Journal avait invité les Robinson, un couple de chimistes de l’université de l’Oregon, à commenter les résultats d’une enquête menée par le Conseil américain de recherche climatologique. Pour ces deux scientifiques à la solde de ce journal d’affaires, le réchauffement n’était dû qu’à des cycles de tâches solaires. Il ne fallait donc pas s’inquiéter pour l’avenir de l’ours polaire puisque l’activité humaine n’était nullement en cause dans ces variations climatiques.

Entre ce déni et la régulation qui fait craindre un arrêt de la croissance pour satisfaire ceux qui préconisent un retour à l’âge de pierre, il existe une troisième voie encore mal explorée : le marché. Fixer des quotas d’émission de gaz à effet de serre est une gageure avec une population mondiale qui ne cesse de croître. Pour mémoire, il y avait trois milliards de bipèdes en 1960, la planète en compte 6.7 milliards en 2008. Que faire lorsque la population mondiale a plus que doublé en moins d’un demi-siècle ? Et que certains pays en « voie de développement » méritent vraiment cette appellation ! Des millions de Chinois et d’Indiens roulent à présent dans des voitures individuelles. Stephen Pacala de l’université de Princeton estime que la moitié des émissions de dioxyde de carbone est le fait de 700 millions d’individus, soit 9 % de la population mondiale. Si l’on se fie à ses statistiques, il faudrait confiner le reste de l’humanité dans la pauvreté pour nous sauver. Cette asymétrie est reprise par les nombreux opposants du capitalisme, synonyme de disparité de richesse et de gaspillage.

Imposer des quotas d’émission de gaz à effet de serre est une chose, les faire respecter en est une autre. Que s’est-il passé depuis la conférence de Kyoto en 1997 ? Pas grand-chose si ce n’est de dénoncer l’attitude intransigeante du gouvernement américain. Au risque de froisser certains lecteurs, le président Bush a tenu un langage cohérent avec ses intérêts médiats : « Nous ne signerons jamais d’accord qui mette en péril notre économie ! » Qu’est-ce que les Européens ont fait ? Ils ont signé le traité et ne l’ont pas appliqué. Les rejets de gaz augmentent et les maladies pulmonaires se multiplient. Vaut-il mieux qu’un chef de gouvernement ait la franchise de dire non à un traité imparfait ou qu’un autre le signe et ne l’applique pas ? Pusillanimité ou hypocrisie ? Voilà dans quelle misère sémantique patauge l’Europe depuis huit ans.

Pour qu’une régulation fonctionne à l’échelle mondiale, il faudrait que tous les États l’acceptent. Mission impossible ! Contrairement à la régulation, le marché n’a pas besoin d’un consensus planétaire. Lorsque le Chicago Exchange Climate (CCX) a démarré le 12 décembre 2003, il n’y avait que treize entreprises qui acceptèrent d’échanger leur droit à polluer. Il n’y avait pas non plus d’argent public mis sur la table. Heureux Américains ! C’est à l’initiative de la fondation Joyce que ce marché a vu le jour mais l’idée d’un tel marché revient à Richard Sandor.

En 1988, un groupe d’intérêts de l’Ohio demanda à ce brillant professeur d’économie de l’université de Chicago s’il était possible de transformer l’air en matière première négociable. Il faut se souvenir des pluies acides qui ravageaient nos forêts et de la place qu’elles occupaient dans les médias. A présent, elles ne font plus une ligne dans les journaux. Que s’est-il passé entre temps ? Les opposants qui étaient légion, arguèrent que codifier le droit de polluer était le stigmate d’une activité inacceptable. Sur un plan économique, la difficulté était de créer un marché avec quelque chose ne vous appartenant pas : accorder à une compagnie le droit d’échanger des émissions de dioxyde de soufre (SO2) équivalait à lui donner un droit de propriété sur l’atmosphère. Sandor reconnut le potentiel d’abus mais il ne démordait pas de son idée qu’il fallait fixer un prix réaliste au départ : un contrat de 5$ pour 100 tonnes métriques qui est l’unité de base.

Voté par le Congrès américain en 1990, le Clean Air Act imposa une réduction de dix millions de tonnes de pluie acide par rapport au niveau de 1980. Les groupes de pression à la solde des industriels affirmèrent que cela allait accroître de dix milliards de dollars par an leur facture. Cela ne coûta en fait qu’un milliard par an aux industriels. Avec l’ouverture de ce marché, il devint rapidement très avantageux de réduire les émissions que de continuer à polluer l’air. Le CCX compte à présent 300 membres. Un contrat se négocie aux alentours de 6 $ et les volumes importants attestent de la vitalité de ce marché atypique.

Une évidence qui a du mal à faire son chemin dans une Europe paralysée par la bureaucratie bruxelloise. En 2005 fut lancée une réplique de ce marché. 65 entreprises s’engagèrent à y participer mais la place de ce marché reste congrue car les autorités bruxelloises omnipotentes lui préfèrent la régulation. Le plan d’action de la Commission européenne hérisse les grosses entreprises qui menacent de délocaliser leurs usines. Laissons au marché ce qu’aucune administration ne saura faire ! C’est par l’intervention quotidienne de milliers d’acteurs économiques, mais certainement pas par la main gauche d’un haut fonctionnaire, que le problème du réchauffement climatique sera réglé.

En 2002, le magazine Time décerna à Richard Sandor le titre de héros de la planète. A la même époque, c’était José Bové qui faisait la une des médias en Europe.

Bernard Martoïa

 

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