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22/12/14 Sascha Lehnartz
         L’Allemagne agace presque tout le monde
                                   en Europe !

Après sept ans sans croissance, personne ne croit plus à la recette de l'épargne clamée par Merkel & Co. La gauche comme la droite populiste raillent la manie de l’Allemagne de tout savoir mieux que les autres.

L'attaque a été portée de façon peu élégante. « Maul zu, Frau Merkel ! Frankreich ist frei », a écrit en allemand Jean-Luc Mélenchon sur le réseau social Twitter. L'ancien président du parti de gauche a essayé de donner en allemand le ton grossier qu’il emploie en français. A «ta gueule !» qui se dit«Schnauze !» en allemand, Mélenchon a préféré utiliser «Maul zu» (ferme-la) qui sonne mieux à son oreille.

La raison de cette attaque insultante est un entretien donné par Angela Merkel à Die Welt am Sonntag. Elle a rappelé que la Commission européenne a jugé que les efforts de réforme entrepris par la France et l'Italie «ne sont pas suffisants». Elle a ajouté cette phrase lapidaire : «Là-dessus, je suis d'accord

Apparemment, cela a été suffisant pour déclencher une tempête d'indignation aux quatre coins de l'Europe qui souffrent de privations. Cette susceptibilité est à rapprocher de l’accroissement du pouvoir politique et économique concentré à Berlin et qui définit le cours de l’Europe. Que la chancelière se soit contentée d’appuyer la position de la Commission européenne n’est visiblement pas acceptable pour ceux qui se sentent visés. A leurs yeux, la Commission n’est que l'outil de la nouvelle hégémonie européenne - et son président, Jean-Claude Juncker, est au mieux un présentateur d’émission de variétés dans le style de «Wetten, dass? » - pour faire passer le message indigeste de l’austérité allemande. Quand il est bien luné, Juncker donne ici ou là un délai supplémentaire.

La réaction emballée à la phrase lapidaire de Merkel trahit une chose : l’Allemagne gêne énormément ses voisins. C’est à rapprocher aussi de la louange adressée récemment à la chancelière par le fétichiste de l’équilibre budgétaire, Wolfgang Schäuble. Il l’a comparée à Napoléon en disant que si elle ne suscite pas autant de hourras sur son passage que l’illustre Français, elle est plus couronnée de succès que lui. Cette comparaison passe très mal auprès de ceux qui se sentent asservis. De ce point de vue, Mme Merkel a depuis longtemps assujetti le continent. En dehors de Schäuble, personne ne trouve cela franchement marrant.

Même l’affable ministre français des Finances, Michel Sapin, a répondu sur un ton irrité à ce qu'il perçoit comme une remontrance allemande. « On se doit de réformer», s’est-t-il justifié devant une télévision française, «non pas pour faire plaisir à tel ou tel dirigeant européen, mais parce que c’est nécessaire pour la France».

En outre, Sapin a ajouté «qu’il serait bon pour l'Allemagne d’investir dans ses autoroutes. Celles-ci seraient «en très mauvais état.» En outre, selon le ministre, «il n'y a pas de jardins d'enfants en Allemagne parce que les femmes travaillent très peu et que le pays se vide de sa population». Une statistique récente montre que l'Allemagne est le deuxième pays d’accueil d’immigrés dans le monde, mais celle-ci n’était peut être pas disponible quand le ministre a réagi vivement.

Ce n’est plus seulement la gauche qui est hyper chatouilleuse…

Le secrétaire d’Etat italien aux affaires européennes, Sandro Gozi, est plus vexé que Sapin. «On exige le même niveau de respect que celui que l’on est en droit d’attendre de la part de ses voisins », a déclaré Gozi, originaire de Sogliana al Rubicon, et qui s’imagine que Merkel l’a franchi allégrement. La chancelière devrait se concentrer sur la demande intérieure allemande, le manque d'investissement dans son pays et le déséquilibre de sa balance commerciale. «Ce serait une contribution importante que l’on attend depuis de nombreuses années mais que Berlin n'a toujours pas réalisée », s’est plaint Gozi. (1)

C’est exactement de la même manière qu’a réagi le clownesque Mélenchon dans son tweet. «Merkel doit s’occuper de ses pauvres et de ses infrastructures en ruine », a-t-il tonné. Apparemment, Mélenchon a une conception vieillotte des ruines en question. Les infrastructures allemandes sont en meilleur état qu’en 1946. Sa vision de l’Allemagne est celle du pont de Leverkusen qui est fermé à la circulation des poids-lourds.

Mais ce n’est pas seulement l’hypersensible gauche européenne qui se sent défiée par les airs de patron de l’Allemagne. Même l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, a réagi à la phrase de la femme avec qui il voudrait reformer un tandem franco-allemand en 2017. Sans nommer la chancelière, il a déclaré : «Dieu sait combien je combats la politique désastreuse de M. Hollande, mais jusqu'à mon dernier souffle je resterai un patriote. Si vous offensez la France, je ne peux pas accepter cela », a déclaré M. Sarkozy. Néanmoins, tout le monde savait à qui il pensait. (2)

L'austérité allemande n’exaspère pas que ses voisins. Depuis longtemps, le prix Nobel d'économie, Paul Krugman, la tient responsable de la décadence de l'Europe. Sur d’autres sujets, l’Allemagne irrite ses voisins, notamment sa politique énergétique, qui reste expérimentale, sa pusillanimité en matière de défense, et son indéchiffrable attitude à l’égard de la Russie. (3)

Le haut fonctionnaire allemand est l’ennemi à Bruxelles

Plus grave que la propension à l’exclusivité de leurs opinions est la manière qu’ont les Allemands de façonner l’Europe selon leurs propres convictions. En particulier, le haut fonctionnaire allemand qui décolle de Berlin par le premier avion du matin et arrive à Bruxelles où il passe sa journée à négocier en se montrant très sûr de lui avec ses collègues européens, et qui s’empresse de retourner dîner à la maison avec la conscience tranquille du devoir bien fait. Il est considéré comme un ennemi par ses collègues. «Pédant», «infatué», et «ergoteur» sont quelques-uns des adjectifs les plus respectueux qui peuvent être entendus à Bruxelles sur les Allemands. Ils auraient aussi une «attitude provinciale». On entend constamment dans les couloirs qu’« ils ne peuvent pas imposer aux autres le modèle allemand», se plaint un diplomate de l’UE.

C’est surtout le penchant allemand à s’en tenir à des positions fondamentales et son incapacité d’argumenter en dehors d’un cadre juridique qui désespère le plus les autres Européens. «Ce ne peut être que comme ça et pas autrement. Ils ne veulent pas et ne peuvent pas penser différemment», se lamente un directeur général de la Commission européenne. (4) Si vous demandez à des diplomates en poste à Bruxelles qui est pour eux l'incarnation de l’Allemand qui débarque par le premier avion du matin, on entend souvent revenir un nom : Nicholas Meyer-Landrut. C’est lui qui est à la tête de la politique européenne à la Chancellerie et qui, dans ce domaine, est le conseiller le plus important auprès de Merkel.

En France, l'aversion à l'obstination des Allemands et à leur aplomb assuré fait à présent l’objet d’un opprobre généralisé dans la classe politique. La présidente du Front national, Marine Le Pen, qui peste depuis des années contre «le diktat allemand» et qui milite pour la libération de la domination allemande avec la sortie de l'euro, se délecte de sa popularité croissante. Tout comme l’ancien président du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a mis en ligne sur son blog un article paru dans Le Figaro où l’auteur (Coralie Delaume) déclare : «Comment l'Europe est en train de devenir un nouvel empire allemand.»

La version soft de l’empire allemand

Delaume cite l'ancien diplomate américain Tony Corn, lequel avait averti en 2011 de la naissance d’un Reich gentil et prévenant, une version soft de ce que le monde a connu auparavant. L’auteur a peur que l’Allemagne tire tout le continent vers l’abîme avec son délire d'épargne comptable. La recette est peut-être juste pour un peuple de «vieux épargnants », mais elle est hélas fatale pour les autres.

Malheureusement, les Allemands ont réussi à placer des informateurs auprès des postes clés de l'UE. De la Banque européenne d'investissement (BEI) en passant par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), jusqu’au Conseil européen et à la Commission Juncker, les postes clés sont occupés soit par des Allemands soit par des personnes qui dansent sur la musique allemande. «Les politiciens français doivent justifier leurs décisions économiques non plus à Bruxelles mais à Berlin », se plaint Delaume à propos de cette perte de souveraineté.

Ce sentiment s’est répandu dans toutes les capitales d'Europe du Sud. Au cours d’un forum italo-allemand houleux, le président allemand ,Joachim Gauck, s’est efforcé d’arrondir les angles. La presse italienne a salué le passage à Turin de Gauck avec des titres guerriers comme «Le front antiallemand se met en place en Europe» ou «L’invasion de Merkel ». Depuis des mois, un livre intitulé "Quatro Reich" est dans les meilleures ventes en Italie, dans lequel le polémiste Vittorio Feltri, appartenant à la nébuleuse de Berlusconi, entretient cette comparaison peu flatteuse avec le Reich national-socialiste. Alors que le Premier ministre Matteo Renzi a vaillamment annoncé que «les Italiens ne se laisseront pas intimider », son ministre des Finances, Pier Carlo Padoan, a déclaré : «L'Allemagne et l'Italie ont perdu leur confiance mutuelle.»

Bientôt sans amis en Europe ?

Madrid et Lisbonne partagent l’analyse qu’Athènes est sur le point de faire faillite. Il y aura bientôt des élections, et le Parti de gauche Syriza du populiste Alexis Tsipras a une bonne chance de les emporter. Tsipras aime parler de la «maladie d’épargner» qui détruit la Grèce, et accuse Merkel de «jouer avec la vie des gens».

On peut aussi penser qu’il n’y a pas d’autre alternative pour les Européens que la politique de rigueur préconisée par l’Allemagne. Et avoir la conviction qu’un assouplissement des règles budgétaires sera utilisé par les Européens du Sud non pas pour réformer leur marché du travail ou privatiser leurs services publics, mais pour faire encore plus de dettes. Même si, à propos des années de croissance zéro sur le continent européen, de nombreux économistes (5) attisent la suspicion que la recette allemande ne pourrait pas guérir tous les patients.

Mais il faut aussi avoir le courage de se regarder dans le miroir et d’admettre que toute une génération d'Européens sans perspectives rend l’Allemagne responsable de leur sort. Quiconque se repose sur une certaine idée de l’Europe sans gagner l’adhésion des Européens peut se retrouver du jour au lendemain sans amis. (6)

Sascha Lehnartz

Notes du traducteur

(1) C’est tout le malheur des Européens du sud de croire encore que la théorie de Keynes les sortira de la récession économique dans laquelle ils sont englués depuis six ans.

(2) Quand il était président, Sarkozy avait tenu absolument à faire une relance keynésienne au lieu de réduire la taille gargantuesque de notre Etat providence. Celle-ci a creusé notre dette et a placé notre pays sous la tutelle de la Commission européenne. Bravo l’artiste !

(3) La politique énergétique de l’Allemagne est asservie par la secte écologiste qui lui a fait renoncer au nucléaire. C’est en matière de défense et non pas d’infrastructure que l’Allemagne doit faire de gros efforts budgétaires pour assurer la défense du continent européen contre les visées impérialistes de la Russie.

(4) Traduction : les cigales veulent plus de flexibilité budgétaire, les fourmis plus de flexibilité du marché du travail.

(5) Les économistes en question sont soit marxistes, soit keynésiens, mais certainement pas libéraux.

(6) C’est le cœur du problème. A défaut d’avoir convaincu les cigales, les fourmis doivent en tirer la conclusion qui s’impose : quitter le gouvernail du radeau de la méduse (zone euro) qui ne leur vaut que quolibets et rancunes de la part des cigales, et vite retourner au deutschemark. Tant pis pour les cigales sourdes à la raison et qui périront quand les requins de la finance attaqueront leur radeau de la méduse surendetté. Amen, amen je vous le dis ! Chacun pour soi et Dieu pour tous.


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