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14/12/14 Tilman Krause
                  La France ne doit pas mourir !

Notre voisin occidental perd la foi en son exception culturelle. Si ce bastion tombe, le désir d’une vie plus élevée et intelligente disparaîtra à jamais en Europe.

Le baume au cœur n’aura duré que trois semaines. La nouvelle fut d'abord accueillie comme un soulagement. Dans un pays mutilé et en proie au doute, l’attribution du prix Nobel de littérature à Patrick Modiano (c’est le quinzième titre pour la France, un record inégalé dans ce domaine) lui redonna provisoirement confiance en lui-même. (1)

Sur un plan esthétique, des commentateurs français se sont félicités que Modiano porte le flambeau de Proust dans le vingt-unième siècle. Des commentateurs plus politisés ont préféré mentionner le fait que Modiano a été à travers son œuvre littéraire, avant tous les autres intellectuels, le premier à dénoncer la compromission de la France dans le fascisme et l'holocauste des juifs.

Mais l'euphorie a été de courte durée. En avouant qu’elle n’avait lu aucun livre de Modiano, la nouvelle ministre de la Culture, Fleur Pellerin (une fille inculte issue du monde numérique), l’a éteint. Le tollé a été général parce qu’elle a commis joyeusement un sacrilège en détruisant l’un des derniers tabous français : à savoir qu’il va de soi que les politiques doivent avoir une bonne connaissance littéraire. (2) Tempi passati ! Déjà Sarkozy avait démontré un esprit littéraire borné quand il avait ironisé sur la présence du premier roman psychologique de l'histoire de la littéraire française, «La Princesse de Clèves» de Madame de Lafayette, dans les concours de la fonction publique. (3)

Mais qu’est devenue la supériorité civilisatrice de la France ?

Nul doute que la croyance de la France dans son «exception culturelle», qui lui assurait une position privilégiée, est profondément ébranlée. Cela réjouira évidemment tout un tas de gens moyens qui dénoncent l’élitisme comme étant antidémocratique. Bienvenue au club «Oui c’est très bien comme ça! » Pour eux, cela ne sert à rien de s’encombrer l’esprit d’une culture classique pour réussir en politique ou dans les affaires. Les gens incultes sont beaucoup plus efficaces car ils ne connaissent pas le danger de dilapider leur énergie et leur concentration dans de vaines élucubrations. Cela les maintient dans des limites plus étroites que des personnes cultivées qui s’ennuient dans les meetings de campagne électorale et ne rêvent que du concert philarmonique qui les attend en soirée. Mais celui qui renonce à une obligation librement consentie de la connaissance, laquelle ne procure aucun bénéfice immédiat, dilapide un grand bien. Aucune autre nation que la France ne combine aussi fortement un style et un savoir-vivre qui ordonne si bien les choses.

Les Allemands le savent mieux que quiconque. Depuis des siècles, ils regardent avec admiration leurs voisins occidentaux. Ils ont d’abord copié sa langue, puis sa littérature. Ensuite, ils ont été inspirés par sa peinture et son architecture. Encore plus tard, sa liberté de circuler et ses valeurs républicaines. (4) Ils sont très impressionnés par ce qui constitue le secret de la supériorité de la civilisation française : son savoir-vivre. Par-dessus tout, son art de vivre dans lequel se trouve une capacité extraordinaire d’allier intelligence et raffinement dans les joies de l’existence, qui se déclinent dans un amour spécifique de la beauté et de l'élégance dans les relations interpersonnelles.

La galanterie, la grâce, la rhétorique, la courtoisie dans la volonté de séduire ainsi qu’un idéal de goût ne se laissent pas transmettre par l'autorité, le pouvoir, la science, la dynamique ou, comme toujours en Allemagne, par une emphase convenue, mais par une chose flottante comme le charme. C’est ce qu’un Allemand admire le plus de la France quand il est malléable et honnête.

Mais la France a renoncé à tout ou elle est sur le chemin de le faire. Qui a visité le pays ou Paris au cours des derniers mois est frappé de voir dans les librairies les pamphlets qui condamnent sans détour la décadence de la France, ou par les négociations avec des partenaires étrangers qui, sous le couvert de l'incapacité de la société française à se réformer, la condamnent à faire pénitence. (5)

Littéralement, la négligence vestimentaire de la clientèle dans les restaurants et les théâtres est frappante. Vous voyez maintenant dans le métro parisien presque autant d’atrocités que dans le métro berlinois. Vous rencontrez plus de gens bien habillés dans la rue Royale de Stuttgart que sur le boulevard Saint-Germain. Là, au coin de la rue des Saints Pères, là où il y avait une activité intense à la boutique de Sonia Rykiel, il n’y a plus d’hommes, et pire il n'y a même plus de Françaises de souche qui ont le nez aplati sur la vitrine. La mode hors de prix ? Aucun intérêt ! (6) Dans la capitale française, il n’y a plus que les calicots ou les serveurs du restaurant de la Coupole qui sont préoccupés par leurs tenues.

Et maintenant nous devons sonner vigoureusement l’alarme. La France, la «primauté de la civilisation», comme l’appelait autrefois l'historien Jules Michelet, ne peut pas se laisser mourir ! La nation doit se réformer et respecter les normes budgétaires. L’Allemagne ne s’est jamais relevée de son hyper inflation monétaire et de la destruction de ses élites culturelles au vingtième siècle. Elle souffre toujours de l’absence de belles villes (7) où une société civile peut tester son élégance en public. En dépit de sa puissance économique, elle n’est pas en mesure de jouer le rôle de pionnier de la civilisation.

Les Anglais n’ont pas la volonté nécessaire à l’exposition, un préalable indispensable à toute exemplarité. Les Italiens sont encore étouffés par leur hébétude berlusconienne. L’Amérique avec son mode de vie (way of life) ne séduit personne d’autre qu’elle. La Pologne est le seul pays de l'ancien bloc de l'Est où des traces de style de vie aristocratique (8) ont survécu, mais sa culture est trop faible pour en faire un candidat potentiel. Il ne reste donc plus que la France.

Mais cela ne peut arriver que si la France retrouve la foi en elle-même, qu’elle débarque les apparatchiks qui la gouvernent, et qu’elle mette fin aux privilèges absurdes des socialistes qui l'inhibent. Soyons francs, une France qui ne se retranche pas derrière le ressentiment du parti des exclus incarné par le Front national. (9) Une France plus offensive, comme celle du général de Gaulle qui avait une certaine idée de la France, et que l’on aimerait suivre à nouveau, une France triomphante pour entraîner par son charme les autres peuples européens, parce qu'elle est en même temps une nation universaliste et nationale.

Tilman Krause

Notes du traducteur

(1) La liste complète des lauréats français : Sully Prudhomme 1901, Frédéric Mistral 1904, Romain Rolland 1915, Anatole France 1921, Roger Martin du Gard 1937, André Gide 1947, François Mauriac 1952, Albert Camus 1957, Saint-John Perse (Alexis Léger) 1960, Jean-Paul Sartre 1964, Claude Simon 1985, Jean-Marie Le Clezio 2008, Patrick Modiano 2014. Cela fait treize lauréats français auxquels ce journaliste allemand a généreusement ajouté deux écrivains s’exprimant en français : le Belge Maurice Maeterlinck en 1911 et l’Irlandais Samuel Beckett en 1969. Même en excluant ces deux auteurs francophones, la France reste la première fabrique de littérature devant les Etats-Unis avec 10 lauréats et le Royaume-Uni avec 9 lauréats. Cocorico !

(2) Charles de Gaulle et Georges Pompidou étaient des gens lettrés, jusqu’à l’arrivée au pouvoir des technocrates Giscard, Chirac et Hollande. Le niveau des présidents de la Cinquième République a fortement baissé comme celui des Français après la révolte infantile de mai 1968. Les nations ont le personnel politique qu’elles méritent.

(3) Le 23 février 2006, à Lyon, Nicolas Sarkozy déclarait devant une assemblée de fonctionnaires : «Il faut en finir avec la pression des concours et des examens. L'autre jour, je m'amusais (on s'amuse comme on peut) à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle !» Mais ce dénigrement de la culture générale a produit l’effet inverse, avec une augmentation sensible des ventes de ce classique de la littérature française. C’est la preuve que les Français se sont sentis froissés par la remarque de ce personnage inculte et hâbleur qui rêve de redevenir président.

(4) Les Allemands sont d’indécrottables romantiques voués à d’amères déceptions. Une lettre de Goethe résume bien cette relation équivoque que porte toujours l’Allemagne à la France. «Qui peut nier que son cœur ne se soit élevé et qu’il ne l’ait senti battre plus purement dans sa poitrine plus libre, lorsque montèrent au ciel les premiers rayons du soleil nouveau, lorsqu’on entendit parler de droits communs à tous les hommes, de la liberté qui exalte et de la louable égalité ! Elle parut se détendre, la chaîne qui tenait tant de pays enserrés. Dans ces jours d’effervescence, tous les peuples ne tournaient-ils pas leurs regards vers la capitale du monde (Paris), qui maintenant plus que jamais méritait ce nom superbe ? Les noms de ces hommes, les premiers annonciateurs du message (Mirabeau et La Fayette), n’étaient-ils pas égaux aux plus grands qui fussent placés sous les astres ? Chacun ne sentait-il pas alors s’élever son cœur et son esprit ? Et nous, comme voisins, nous fûmes, les premiers, enflammés par cette ardeur. Puis ce fut la guerre, et les colonnes armées des Français s’approchèrent. Mais ils semblaient n’apporter que l’amitié. Gaiement, ils plantèrent les arbres joyeux de la liberté, promettant à chacun de respecter son territoire et de lui laisser son gouvernement propre. Alors, jeunes gens et vieillards se réjouirent grandement et la danse joyeuse commença autour du drapeau nouveau…Cependant le ciel se troubla vite. Une race corrompue, indigne de faire le bien, se disputa les avantages du pouvoir. Ils s’égorgèrent entre eux et opprimèrent leurs voisins, leurs nouveaux frères, et ils nous envoyèrent la foule égoïste. Et nous vîmes les chefs se livrer à l’orgie et piller en grand, tandis que les petits, jusqu’au moindre d’entre eux, pillaient et vivaient dans la débauche. Ils semblaient n’avoir qu’une crainte : qu’il ne restât rien à piller pour le lendemain. Excessive était la détresse, et, chaque jour, croissait l’oppression. Personne n’entendait nos cris… Alors la douleur et la rage s’emparèrent des âmes les plus calmes ; chacun n’eût plus qu’une idée, ne fit qu’un serment : se venger de toutes les injures et de la perte amère d’un espoir doublement déçu. La fortune se tourna du côté allemand, et le Français, fuyant, se retira à marches forcées. »

(5) Les déclinologues se multiplient en raison de la faillite du modèle social français. Si certains s’indignent que nous fassions pénitence, ce n’est qu’un début en raison de notre inaptitude à nous réformer. Aujourd’hui, l’agence Fitch a dégradé la note de la dette de la France d’un cran en dessous : de AA+ à AA. Nous n’avons pas encore touché le fond avec la mise sous tutelle du FMI. Patience !

(6) De quoi vous plaignez vous ? Vous avez voté à 52% pour le candidat socialiste promettant de réduire les inégalités. Pour y arriver, il n’y a qu’un seul moyen : l’abaissement généralisé du niveau de vie. Quand on préfère l’égalité à la liberté, il faut accepter la pauvreté.

(7) Le patrimoine culturel allemand a été pulvérisé par les Alliés. Le miracle allemand de la reconstruction d’après-guerre est avant tout économique.

(8) La Pologne a conservé une allure aristocratique parce qu’elle a gardé sa foi chrétienne malgré la dictature communiste.

(9) Point de salut pour la France et les autres Etats européens dans une société multiculturelle et communautaire. L’Europe retrouvera sa grandeur passée quand elle redeviendra fidèle à ses racines.



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