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17/12/12 Matthew Kaminski
Il faut écouter Leszek Balcerowicz : il a beaucoup à nous apprendre sur la façon de surmonter la crise !

Nous avons rencontré Leszek Balcerowicz à Varsovie. Ce qu’il nous a dit mérite le plus grand intérêt.

En tant que gestionnaire de crise économique, Leszek Balcerowicz a peu de pairs. Lors de la chute du communisme en Europe, c’est lui qui a lancé la «thérapie de choc» pour combattre l’hyperinflation et construire un marché libre. Dans les années 1990, il a imposé un plafond d'endettement dans la constitution de son pays que ses successeurs dépensiers ne peuvent plus défaire. Quand il était le gouverneur de la banque de Pologne entre 2001 et 2007, sa politique monétaire drastique évita une bulle du crédit et l’éclatement de celle-ci. La Pologne fut le seul pays de l'Union européenne à éviter la récession en 2009. Son économie connaît depuis la plus forte croissance au sein de l'U.E.

M. Balcerowicz ne s’attarde pas sur ses succès car il semble trop occupé par la «bataille» - c’est son mot – contre les mauvaises politiques. «La plupart des problèmes résultent d'une mauvaise politique économique», dit-il. «Dans une démocratie, vous avez beaucoup de groupes de pression voulant étendre le rôle de l'Etat pour un tas de raisons. Même s’il n’y a que des anges dans un gouvernement, ce qui n'est pas le cas, et si en plus il n'existe pas une opposition forte (1) militant pour un gouvernement limité, alors il y aura une évolution inexorable vers plus d’étatisme et, finalement, de stagnation et de crise. »

En passant le monde en revue, M. Balcerowicz constate que les politiques contestables ne manquent pas. Une série de plans de sauvetage pour la Grèce et pour d'autres ont préservé l'euro. Mais qui sait pour combien de temps encore ? Ce vendredi 14 décembre 2012, lors de leur sommet tenu à Bruxelles, les dirigeants européens ont reporté les décisions difficiles concernant la discipline budgétaire et les politiques favorables à la croissance. Outre-Atlantique, Washington semble plus proche que jamais du fiscal cliff. La Fed a lancé une quatrième campagne de quantitative easing en maintenant artificiellement les taux d'intérêt réels très bas pour racheter des bons du trésor américain.

En tant qu'ancien banquier central, M. Balcerowicz a du mal à trouver les mots qui conviennent pour qualifier la dernière invention du président de la Fed, Ben Bernanke : « C’est du jamais vu ! Un anathème complet ! Un saut dans l’inconnu». Pour lui, de telles mesures hétérodoxes enferment l’économie dans un cercle vicieux. Les banquiers espèrent que les taux d'intérêt bas vont stimuler la croissance. Quand cela échoue, comme au Japon, ils n'ont pas d'autre choix que de poursuivre cette politique d’assouplissement. «Bien que les avantages de ces mesures non-conventionnelles soient de courte durée, les coûts augmentent avec le temps», dit-il. « Plus vous pratiquez ce genre de politique, plus il est difficile de s'en sortir. Le Japon est pris à son propre piège.» L’anémie de l’économie japonaise est le premier exemple qui vient à l’esprit, mais maintenant, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, et potentiellement la Banque centrale européenne lui emboîtent le pas.

S'il était à la place de M. Bernanke, M. Balcerowicz dit qu'il repenserait le lien entre argent facile et croissance économique. (2) « Au fil du temps, » dit-il, « les taux d'intérêt artificiellement bas et l’impression de papier monnaie nuisent à la croissance, mais pas nécessairement ou principalement par l'intermédiaire d’une inflation plus forte. »

« En premier lieu, le style trop accommodant de Bernanke affaiblit la volonté des politiciens de poursuivre les réformes structurelles, y compris les réformes fiscales», dit-il. « Ils peuvent maintenir un déficit important avec un faible taux du crédit. » Il fait plaisir à de nombreux politiciens occidentaux qui prônent les dépenses de relance. Cela signifie qu'ils n'éprouvent pas la nécessité de s'attaquer aussi sérieusement qu’il conviendrait aux problèmes difficiles, comme celui de l'assurance-maladie.

Une autre conséquence méconnue de l'argent facile, selon M. Balcerowicz, est le relâchement de la pression exercée sur l'économie privée pour se restructurer. Avec des taux d'intérêt aussi bas, les grandes entreprises « refinancent sans problème leurs prêts, » dit-il. Les banques sont heureuses de leur prêter de l’argent. Ainsi les ajustements sont retardés et le marché demeure faussé.

La politique accommodante de la Fed a perverti le discours politique en Amérique. La faillite de Lehman Brothers a permis de nettoyer le secteur financier, mais pas le gouvernement. M. Balcerowicz constate que les dépenses fédérales sont encore plus élevées qu'avant la crise, ce qui n'est pas le cas en Europe. «La plus grande négligence aux Etats-Unis est d’ordre fiscal », dit-il. Le dollar permet aux Etats-Unis « d’obtenir beaucoup d’argent pour financer de mauvaises politiques. Ce qui est dangereux pour le monde et aussi pour les Etats-Unis eux-mêmes. »

Le modèle de la Fed se répand partout dans le monde. Pas plus tard que cet automne, la Banque centrale européenne a annoncé un plan, sans précédent, consistant à acheter des obligations de pays en difficulté de la zone euro. La banque, en substance, a déclaré qu'elle était prête à imprimer n'importe quelle quantité d'euros pour sauver la monnaie unique.

M. Balcerowicz est proche du représentant de la Bundesbank au directoire de la B.C.E., l'unique opposant au rachat d'obligations. Il dit que cette mesure viole les traités de l'U.E. « Et en second lieu, lorsque la Fed imprime de l'argent, elle ne se contente pas d'acheter des obligations d'Etats en difficulté comme la Californie, c’est plus général que cela, elle diffuse le virus aux Etats vertueux », dit-il. « La BCE s’est engagée dans une politique régionale. Je ne pense pas qu'on puisse la justifier

« Donc, ils savent mieux », dit M. Balcerowicz à propos des dernières lubies des banques centrales. « La prime de risque est trop élevée selon eux. Ils sont au-dessus des jugements des marchés. Je me souviens du temps du socialisme où les dirigeants nous disaient : nous savons mieux que vous. »

M. Balcerowicz, qui est âgé de 65 ans, a grandi dans une économie planifiée. Il a obtenu un doctorat en économie, a travaillé brièvement à l'Institut du Parti communiste du marxisme-léninisme, et a conseillé le syndicat Solidarnosc avant l'imposition de la loi martiale en 1981. Il s'est fait connaître en 1989 comme le père du plan qui porte son nom. Du jour au lendemain, les prix ont été libérés, les subventions réduites et la monnaie, le zloty, rendue convertible. C'était une médecine dure, mais l'économie polonaise a rebondi bien plus vite que les autres économies de l'ancien bloc soviétique qui ont opté pour une approche graduelle.

Choc ou non, M. Balcerowicz reste inflexible sur le fait que la potion amère doit être avalée le plus vite possible. Aux PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) qui avancent lentement, M. Balcerowicz oppose les BELL (Bulgarie, Estonie, Lettonie et Lituanie). Ces pays de l'U.E. ont connu une phase d'expansion avant 2009. Leurs économies ont carrément plongé cette année-là, le PNB de la Lettonie a perdu près de 20%. Privés de sauvetage par l'U.E., ces gouvernements ont été contraints d'adopter des mesures plus sévères qu’en Grèce. Les dépenses publiques ont été réduites, y compris pour les salaires des fonctionnaires. L’ajustement a fait mal mais la reprise économique s’est produite dès 2010. Les courbes de croissance des BELL sont en forme de V. La baisse a été moins forte pour les PIGS, mais elle se prolonge et s'aggrave avec le temps.

Les réformes drastiques menées dans les BELL n’ont pas donné des résultats instantanés, mais M. Balcerowicz dit que cette approche radicale a un autre avantage à court terme. Il l'appelle «l'effet de confiance ». Lorsque les marchés ont vu que ces gouvernements étaient sérieux dans la mise en œuvre des réformes, leurs coûts d'emprunt ont diminué rapidement, tandis que ceux des PIGS ont continué d'augmenter.

La Grèce s’est focalisée sur l'augmentation des impôts, en remettant à plus tard les réductions de dépenses. Ils ont fait les choses à l’envers, selon M. Balcerowicz. « Si vous réduisez les dépenses par le biais des réformes en cours, vous êtes beaucoup plus susceptible de réussir l'assainissement budgétaire que si vous augmentez les impôts qui sont déjà trop élevés. » (3)

Il ajoute : « D'une certaine manière, l'impression pour beaucoup de gens, c'est que l'augmentation des impôts est correcte mais que la réduction des dépenses est incorrecte. C’est un discours idéologiquement chargé.» Cela s'applique autant à la Grèce qu’à la plupart des pays en Europe et au débat actuel aux États-Unis.

Au fil de ses différentes participations au gouvernement polonais, le nom de Balcerowicz est devenu un juron. Dans les années 1990, il a été deux fois vice-Premier ministre et a dirigé le parti de l’Union pour la liberté. Même si sa politique est un succès, son style abrasif lui vaut peu d’amour et il lui a coûté des votes. À la banque centrale, il a pris beaucoup de coups pour sa politique monétaire restrictive et on ne lui a pas demandé de rester quand son mandat s’est terminé en 2007.

M. Balcerowicz admet qu'il est un bouc émissaire facile. «Les gens ont tendance à personnaliser les réformes. Cela ne me dérange pas. J’accepte la responsabilité des réformes que j’ai lancées. » Il dit «comprendre les politiciens quand ils abandonnent les réformes impopulaires, mais ne l'accepte pas pour lui-même. » Il appartient aux tenants du libre marché de se battre pour leurs idées et de faire comprendre aux politiciens le coût électoral de ne pas réformer un pays.

Concernant les renflouements, M. Balcerowicz a une position agnostique. Ils peuvent atténuer une crise aussi longtemps qu'ils ne réduisent pas la pression pour réformer. La comparaison entre BELL et PIGS suggère que les plans de sauvetage ont ralenti les réformes, mais il note un mouvement récent dans le sud de l'Europe visant à déréglementer le marché du travail, à privatiser et à réduire les dépenses, en d'autres termes, à prendre des mesures sérieuses pour stimuler la croissance.

« Une fois que l'euro a été créé, ça vaut le coup de le garder. La monnaie unique n'est pas différente de l'étalon-or qui a très bien fonctionné», dit-il. Dans les deux cas, les pays membres doivent contenir leur déficit budgétaire et rendre plus flexible leur marché du travail pour rester compétitif. Cela fait de lui un optimiste prudent sur l'euro.

«Il est important de se rappeler qu’il y a 10 ans l'Allemagne était comme l'Italie, et elle a su se réformer», dit-il. Avant que Berlin réforme son Etat-providence, l'Allemagne était appelée «le grand malade de l'Europe. Il n'y a pas de solution européenne pour les Italiens. Mais il existe des solutions italiennes. Pas de sauvetage mais de meilleures politiques

Pourquoi certains pays changent-ils pour le mieux dans une crise et d'autres pas ? M. Balcerowicz critique avant tout l’interprétation populaire des causes profondes de la crise. « Il y a beaucoup de confusion intellectuelle», dit-il. «Prenez par exemple la crise financière qui s'est passée dans le secteur financier. De ce fait, la raison de la crise, pense-t-on, doit être trouvée dans le secteur financier. Ça a l'air logique, mais ce n’est pas le cas. C'est comme de dire que la raison pour laquelle vous éternuez par le nez, c’est le fait que vous avez un nez. » Les marchés n'ont pas échoué mais ils ont été faussés par de mauvaises politiques. Il mentionne le «too big to fail», l'argent facile de la Fed, Fannie Mae et le boom immobilier. (4) Telles sont les causes profondes.

« Beaucoup de gens aiment moraliser »; dit-il. « Quelle agréable sensation de condamner la cupidité ! C’est très facile. En général, les intellectuels se complaisent à blâmer le marché, » ajoute-t-il. « Il y a une croyance très répandue selon laquelle les crises se produisent, la plupart du temps, dans les sociétés capitalistes. Le mot crise est associé au capitalisme. Mais si vous avez une perspective comparative, vous constatez que les plus grands catastrophes économiques se produisent dans les systèmes non marchands, lorsqu’il y a une forte concentration du pouvoir politique. Les exemples ne manquent pas avec Staline, Mao, les Khmers rouges, et de nombreux autres cas. »

« Au 19ème siècle, les économies industrialisées récupéraient mieux après une crise avec une intervention nulle ou limitée du gouvernement. Pourtant les keynésiens continuent de prétendre que seul l'Etat peut compenser les défauts du marché », dit-il. «Cette idée que le marché génère une crise indéfinie et qu’un gouvernement sage peut extraire le pays de cette crise suppose que vous avez deux sortes de gens. Des gens normaux qui opèrent sur les marchés, et de meilleures personnes qui travaillent pour l'État. Ils nient la nature humaine. » (5)

En rassemblant les essais de sa nouvelle collection intitulée «Découvrir la liberté », M. Balcerowicz s'est rendu compte que « vous n'avez pas besoin de lire les économistes modernes» pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui. Hume, Smith, Hayek et Tocqueville sont là. Il aime citer les « anges » de Madison : « Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire. Si les anges devaient gouverner les hommes, ni les contrôles externes ou internes sur un gouvernement ne seraient nécessaires. »

Cet académicien polonais donne l’impression qu’il se sentirait très à l’aise dans une réunion du Tea Party américain. L'idée le séduit. « Leurs idées sont bonnes. Les médias libéraux (un libéral est un gauchiste en Amérique) tentent de les diaboliser, mais leurs instincts sont bons. Un gouvernement limité aux fonctions régaliennes, c'est classique. C'est du James Madison. C'est ultra-américain, absolument. »

Matthew Kaminski

Notes du traducteur

(1) C’est le drame de la France où il n’y a pas d’opposition crédible à la toute puissance de l’étatisme incarnée par la caste des énarques.

(2) C’est la faute de la loi Humphrey et Hawkins (du nom de ses deux instigateurs au Congrès) qui fut votée en 1978. Cette loi d’essence keynésienne fixait à la Fed deux objectifs contradictoires : le taux de chômage devait être ramené à 4% et l’inflation annuelle limitée à 3% en 1983.

(3) 53% des Français ont voté pour le candidat socialiste prônant la même politique fiscale désastreuse menée par la Grèce depuis 2010.

(4) M. Balcerowicz apporte de l’eau à notre moulin. Nous avons expliqué inlassablement les causes de la crise financière déclenchée en Amérique par trois institutions fédérales : la Federal Reserve Bank, Fannie Mae et Freddy Mac. Mais l’opinion publique française, désinformée par les journalistes et par l’ex-président de la République lors de son discours de Toulon, pense toujours que c’est la faute du libéralisme. C’est la même chose en ce qui concerne la montée inexorable du chômage dans notre pays. Ce n’est pas la faute de la mondialisation mais de notre code du travail trop rigide qui interdit tout licenciement. Tant que les Français ne voudront pas comprendre les causes de leur malheur, ils resteront enfoncés dans la crise.

(5) M. Balcerowicz ne cite pas la France qui est pourtant le premier pays au monde affecté par ce strabisme.

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