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4/2/10 Friedrich A. Hayek

Le jour viendra où les jeunes enfermeront les vieux dans des camps !

Il est facile de voir que l'abandon total du caractère d'assurance inhérent à un dispositif qui reconnaît à toute personne ayant dépassé un certain âge (et à toute personne dépendante ou dans l'incapacité de travailler) un droit à recevoir un revenu « correct » défini par la majorité (dont une partie substantielle est constituée des bénéficiaires) ne peut que transformer le système entier en un outil politique, un ustensile pour démagogues partant à la pêche aux voix. Il est vain d'imaginer qu'un critère objectif de justice quel qu'il soit puisse fixer une limite au degré auquel ceux qui atteignent l'âge requis pourront, même s'ils sont capables de travailler encore, demander à être « correctement » entretenus par ceux qui sont en activité, qui eux mêmes pourront trouver consolation seulement en pensant qu'à une date future où ils seront proportionnellement plus nombreux et donc détenteurs d'une plus forte influence électorale, leur tour viendra d'obliger ceux qui travaillent à pourvoir à leurs besoins.

Une propagande incessante a complètement masqué le fait que ce plan de pension convenable pour tous ne peut que déboucher sur une situation où nombre de ceux qui ont atteint le moment tant attendu de la retraite, et qui pourraient vivre de leur propre épargne, recevront néanmoins une gratification aux frais de ceux qui n'ont pas encore atteint ce moment, et qui, pour une part d'entre eux, se retireraient tout de suite s'ils étaient assurés du même revenu. Elle a complètement masqué le fait aussi que dans une
société prospère non dévastée par l'inflation, il est normal qu'il y ait parmi les retraités un pourcentage de gens plus aisés que certains actifs. Le fait que l'opinion publique ait été délibérément et gravement fourvoyée à ce sujet est bien illustré par l'assertion (acceptée par la Cour suprême) selon laquelle aux Etats Unis, en 1935, « environ trois personnes sur quatre ayant 65 ans ou plus, dépendaient partiellement ou totalement de l'aide d'autrui pour subsister », assertion fondée sur des statistiques qui supposaient explicitement que toute propriété détenue par un couple âgé était propriété du mari et que par conséquent toutes les épouses étaient « personnes dépendantes » !

Le résultat inévitable de cette situation, qui est devenue chose normale dans bien d'autres pays que les Etats Unis, est qu'au début de chaque année électorale, on spécule sur la hausse envisageable des avantages sociaux. Qu'il n'y ait guère de limites aux revendications qui seront avancées apparaît clairement dans une déclaration du Labour Party britannique, disant qu'une retraite correcte « signifie le droit à continuer de vivre dans le même milieu, à pratiquer les mêmes distractions, et à fréquenter les mêmes cercles d'amis». Peut être ne faudra t il pas attendre longtemps pour qu'on nous explique que, dans la mesure où un retraité a davantage de temps pour dépenser de l'argent, il faut qu'il en reçoive plus que ceux qui travaillent. Et puisque nous entrons dans l'ère de la redistribution, il n'y a pas de raison pour que ceux qui ont quarante ans ou plus ne tentent pas un jour de faire travailler pour eux les plus jeunes. C'est peut être ce jour là que les personnes les plus vigoureuses physiquement se révolteront et dépouilleront les vieux tout à la fois de leurs droits politiques et de leur privilège légal d'être entretenus.

Le document travailliste que je viens de citer est significatif aussi en ceci, qu'outre le désir explicite d'aider les gens âgés qui l'imprègne, il trahit clairement le souhait de les rendre incapables de subsister par eux mêmes, et de les rendre dépendants de l'aide de l’Etat. Une hostilité envers toute assurance vieillesse privée et autres formules analogues imprègne le texte. Et le plus remarquable en lui est la froide hypothèse sur laquelle reposent les chiffres du plan proposé, et selon laquelle les prix doubleront au cours de la période 1960 1980. Si ce taux d'inflation postulé se vérifiait, le résultat réel serait probablement qu'à la fin du siècle la grande majorité de ceux qui partiront en retraite dépendront effectivement de la charité des plus jeunes. Et, finalement, ce ne sera pas la morale, mais le fait que ce sont des jeunes qui forment la police et l'armée, qui tranchera la question : l’enfermement des vieux incapable de subvenir à leurs besoins dans des camps de concentration pourrait bien être ce qui attend les membres d'une génération dont le revenu futur reposera entièrement sur l'oppression des jeunes.

Friedrich A. Hayek
La constitution de la liberté (1960)




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