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10/12/13 Charles Gave
                           Zavatta au pouvoir !

De temps en temps, l’un des lecteurs qui veut bien se donner la peine de discuter avec moi me fait la remarque suivante :

« Mais enfin, Monsieur, les gens qui nous gouvernent sont intelligents et compétents puisqu’ils ont été dans les meilleures écoles (?) Ce que vous dites et qui n’est que du bon sens, ils le savent et ils sont certainement aussi bien informés sur la France que vous pouvez l’être à partir de votre lointain Hong-Kong. Comment donc expliquez-vous ce qui apparaît comme une invraisemblable accumulation de lâchetés et d’erreurs de leur part ?»

Que voilà une bonne remarque ! Essayons de comprendre pourquoi notre pays est là où il en est, en rappelant les trois questions essentielles autour desquelles tourne la «science politique » (qui est à peu prés autant une science que la science économique).

Ces trois questions sont:

1. Qui peut exercer le pouvoir ?

2. Au profit de qui ce pouvoir va-t-il être exercé ?

3. Quelles sont les limites mises à l’exercice de ce pouvoir ?

Voyons ces trois questions les unes après les autres.

Qui peut prendre le pouvoir ?

En France, la réponse est très simple. Officiellement, nous sommes en démocratie et chacun peut se présenter, ce qui est vrai. Mais depuis trente ans, nous avons tous pu constater l’émergence d’une « classe sociale », au sens marxiste du terme, qui a complètement capturé la représentation nationale en faisant passer des lois qui de fait interdisent à quiconque qui ne ferait pas partie de cette classe d’être élu.

Par exemple, les lois censées prévenir la corruption en assurant le financement par l’Etat des campagnes électorales ont abouti à un contrôle complet de cette classe sur le choix de ceux qui peuvent ou ne peuvent pas se présenter aux élections. L’appareil du « parti », ou plus simplement le président du « parti » décident qui peut ou ne peut pas se présenter.

Comme c’est le président qui reçoit toutes les subventions sans avoir de comptes à rendre à personne, et que c’est ce même président qui octroie ou non les subsides aux candidats, en fonction bien sûr de l’attachement qu’ils ont pour la personne du président, un candidat un peu indépendant d’esprit n’a aucune chance d’être sélectionné, le but essentiel du dit président étant de ne jamais sélectionner quiconque pourrait un jour lui faire de la concurrence. Nous arrivons donc fort naturellement, grâce a ce processus de sélection anti -darwinien, à « La prédominance du crétin » dans le monde politique (voir le livre de Fruttero et Lucentini ), ce que chacun peut vérifier en ouvrant sa télévision au moment des journaux télévisés.

Au profit de qui ce pouvoir va-t-il être exercé ?

En « bon marxiste », je ne peux apporter qu’une réponse et une seule à cette question : au profit de la classe qui a pris le pouvoir. Voilà qui apparaît comme totalement évident, mais voilà aussi qui explique beaucoup de choses. Si vous êtes un membre, même mineur, de cette classe monopolistique, jamais dans l’histoire de France le pouvoir de votre classe n’a été aussi élevé, et jamais les prébendes qu’elle touche n’ont été aussi fortes.

A eux les palais nationaux, à eux les voitures avec gyrophares, les voyages officiels dans les pays du soleil pendant l’hiver, les triple, quadruple, quintuple retraites, les possibilités de passe droit pour loger leurs enfants ou pour les envoyer dans les meilleurs lycées…

A vous les transports en commun, les lycées de banlieue, les retraites insuffisantes, les embouteillages et les vacances chez les beaux parents…

Donc, quand une personne vous dit que cette classe a lamentablement échoué dans la gestion du pays, cela veut dire que cette personne n’a pas compris que les gens qui composent cette classe trouvent, eux, qu’ils ont réussi de façon prodigieuse et au-delà de leurs rêves les plus fous.

Et ils ne voient pas, mais pas du tout, pourquoi les choses devraient changer.

Et ils ont raison … de leur point de vue !

Les limites institutionnelles mises au pouvoir

Là, nous touchons au cœur du problème. Mais contrairement à ce que pensent bon nombre de Français, le cœur du problème n’est ni économique, ni politique mais juridique.

Dans une démocratie doit exister un système électoral qui permet au peuple de virer son élite politique quand elle devient par trop incompétente. Or en France, c’est cette élite qui choisit le système électoral qui régit les élections. Elle a donc bien sûr mis en place un corpus législatif qui interdit à qui que ce soit tout espoir de la virer un jour. Et dans la pratique, depuis cinquante ans que je vote, j’ai toujours eu le choix entre un fonctionnaire de gauche et un fonctionnaire de droite, mais jamais je n’ai pu voter pour quelqu’un d’autre qu’un fonctionnaire ou un professionnel de la politique. Je ne peux exercer mon choix qu’au profit de candidats sélectionnés par « la classe ». D’où l’émergence du FN…et la fureur de la « classe » contre ce FN.

Mais dans une vraie démocratie (me dira le lecteur que je n’ai pas encore perdu), il existe des contre pouvoirs qui devraient limiter la capacité de nuisance de cette élite.

Certes, ces contre pouvoirs existent… en Suède, en Allemagne, en Grande- Bretagne, aux USA, mais pas en France à cause de ce monstre juridique qu’est la Constitution de la Vème République.

Et c’est là qu’il me faut parler d’un homme qui, à mon avis, est à l’origine de la décadence actuelle de la France, je veux parler de Michel Debré.

C’est lui qui a créé l’ENA, c’est lui qui a autorisé la fusion entre les banques d’affaires et les banques de dépôts, ce qui a permis la domination des banques (et donc de « la classe ») sur l’économie de notre pays, et c’est enfin lui qui a rédigé la Constitution de la Vème République, qui n’est qu’une immense construction bonapartiste.

Tout part du grand homme, tout remonte au grand homme, rien ne se fait sans le grand homme. Le grand homme a tous les pouvoirs.

Si la définition du fascisme est « tout pour l’Etat, tout par l’Etat, rien en dehors de l’Etat » (Mussolini), la définition du bonapartisme serait « tout pour le grand homme, tout par le grand homme, rien en dehors du grand homme », et la nature bonapartiste de la Constitution de la Vème est bien sûr la principale raison qui explique l’effondrement de notre pays.

Toute la Constitution de la Vème est organisée pour qu’une faction accapare l’Etat de façon légale, à son profit, pour imposer ses idées qui devront être portées par « un grand homme ». D’où la nécessité d’avoir un présidentiable dans n’importe quelle « écurie politique » (quel mot horrible), et la recherche éperdue du chef dans chaque parti.
Nous venons de fêter les cinquante ans de ce monstre, et toute « la classe » dont cette Constitution a permis l’émergence et la remarquable prospérité s’est réunie pour chanter les louanges de ce qui , cinquante ans après, apparaît comme la cause principale des maux dont nous souffrons.

Et qui présidait à toutes ces festivités ?

Le propre fils de Michel Debré, dont je me suis laissé dire qu’il avait fait une carrière surprenante, même à ses propres yeux, en obéissant toujours au chef qu’il s’était donné…comme son papa l’avait fait avant lui.

Beaucoup de gens me demandent souvent comment réformer l’économie en France.
A cette question je réponds toujours que l’économie n’est qu’une dérivée du droit et que la France est malade de sa loi fondamentale.

Ce qui fait la grandeur d’un pays, c’est le respect des opinions de l’autre, et non pas l’espoir de le dominer un jour en capturant l’Etat pour le mettre au service de ses médiocres préjugés ou de ses intérêts « de classe ».

Ce qui plombe notre pays, c’est une structure juridique du pouvoir mal pensée, mal foutue, contre productive, qui mène à une centralisation et à une personnalisation ridicule de toute décision, comme on vient de le voir avec l’expulsion d’une jeune Roumaine, qui aurait dû rester du ressort du commissariat du quartier où elle résidait avec sa famille.

Depuis des années, je dis que cette Constitution va amener à la tête de l’Etat des individus à chaque fois moins compétents que l’individu précédent, et que tout cela se terminerait avec Achille Zavatta (un clown) à la tête du pays, tant le processus de sélection (qui n’a lieu qu’ à l’intérieur de « la classe », au sens marxiste du terme dont j’ai parlé plus haut) ne peut nous mener que d’un homme d’appareil à un homme d’appareil, c’est-à-dire d’un homme qui ne fait d’ombre à personne à un individu encore plus normal, pour terminer par quelqu’un qui sera sélectionné parce qu’il n’aura jamais pris une seule décision de toute sa vie et donc ne se sera pas fait d’ennemis.

Le plus petit commun dénominateur, le plus médiocre, sera donc choisi avec enthousiasme, car il se sera fait gloire, pendant toute sa campagne, de sa propre médiocrité.

Nous y sommes. Et cela était inévitable et n’a rien à voir avec l’économie et tout avec le droit.

La France crève de la Constitution de la Vème République, et personne ne parle de la changer.

Charles Gave

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