Forte croissance pour les villages Potemkine !
Potemkine fut le favori et le ministre préféré de la Grande Catherine de
Russie. La petite histoire a retenu de lui qu’il avait été le créateur des
fameux «Villages Potemkine». L’Impératrice, en descendant le fleuve,
s’arrêtait de temps en temps dans un charmant village local où ses sujets
lui faisaient part de leur extrême contentement à vivre sous son règne. Dans
la réalité, le village était démonté dés qu’elle était passée et remonté à
l’arrêt suivant… Cette belle histoire est sans doute une calomnie répandue
par les ennemis du favori à l’époque, mais « se non è vero, è ben trovato
».
En tout état de cause, comme l’idée était bonne, elle a survécu à son
créateur et il n’y a pas un seul ministère de la propagande qui ne l’ait
employée à un moment ou à un autre, même si aujourd’hui les ministères de la
propagande s’appellent des « agences de communication ». Par exemple, cette
technique fut réutilisée avec le plus grand succès par Staline ou Mao qui
faisaient visiter à tous les habituels idiots utiles les nouveaux villages
Potemkine russes ou chinois (George Bernard Shaw, Sartre, Herriot, Simone de
Beauvoir, Barthes, BHL…la liste est fort longue ), si bien que chacun
d’entre eux revenait de ces inspections guidées pour expliquer à ses
lecteurs que le soleil se levait bien à l’Est.
Mais aujourd’hui, le Souverain n’est plus la Grande Catherine mais une chose
bizarre que l’on nomme « l’Opinion Publique », qui se caractérise par le
fait que le mot lui-même ne veut rien dire puisqu’une opinion ne peut être
que personnelle et que le public n’a rien à voir dans son expression, le
seul moment où le public se prononce étant les élections. Le but de nos
ministères de la propagande est cependant de faire croire à chaque citoyen
qu’il existe quelque chose qui s’appelle l’Opinion Publique et que son vote
doit se conformer à ce que pense cette «Opinion». Il est hélas tout à fait
évident que cette notion a été créée de toutes pièces par ceux qui nous
gouvernent pour faire prendre à l’électorat des vessies pour des lanternes,
ou pour les empêcher de discuter des sujets vraiment importants, comme on le
voit très bien avec l’affaire Morano en ce moment. L’outil de choix à cette
fin est constitué par ce que l’on appelle des «sondages d’opinion», dont
chacun a pu mesurer la pertinence par exemple lors des dernières élections
en Grande-Bretagne.
Faire prendre des vessies pour des lanternes à l’électeur a donc été un
sport pratiqué depuis longtemps par tous les pouvoirs, et le pauvre citoyen
ne s’en sortait que grâce à une information contradictoire fournie par une
presse libre, ou par les opposants de ceux qui étaient en place, ou au pire
en écoutant Radio Londres ou la BBC.
Et nulle part cette information contradictoire n’était plus disponible que
dans le monde de la finance.
Le monde que j’ai connu à mes débuts était un monde de controverses parfois
violentes sur la réalité sous jacente de prises de risque assumées, et où la
chose la plus difficile était de trouver l’information.
Or ce monde a disparu.
Toutes les informations sont aujourd’hui disponibles instantanément sur
n’importe quel terminal de Bloomberg.
Et cependant je ne peux m’empêcher d’avoir une impression très désagréable.
L’investisseur, le citoyen d’aujourd’hui n’ont aucun mal à trouver
l’information car, comme je viens de le dire, elle est disponible
instantanément.
Mais aujourd’hui, la difficulté est de faire le tri dans la masse de
nouvelles qui nous assaillent, entre celles qui sont importantes et celles
qui ne le sont pas et ne sont que du bruit. Et du coup, la tentation est
irrésistible pour nos pouvoirs politiques ou financiers de faire ce tri
eux-mêmes, et donc de préparer une espèce de petit «résumé » de ce que les
pouvoirs en question veulent que les citoyens connaissent, ce qu’ils font
avec la complicité bienveillante des grandes banques, des grandes agences
d’information ou des instituts statistiques locaux qu’ils contrôlent tous
peu ou prou.
Prenons un exemple.
Imaginons que les pouvoirs publics aient réussi à convaincre l’électeur que
l’évolution du PIB dans un pays donne une idée parfaitement exacte de la
façon dont ce pays est géré, ce qui est une idée stupide mais qui correspond
assez bien à la réalité des perceptions actuelles.
Le PIB sera donc une part intégrale de tous ces petits résumés que nos
élites bienveillantes préparent pour notre édification.
Allons une étape plus loin dans notre cynisme et imaginons que les chiffres
de ce PIB, qui ne veulent rien dire, sortent et soient « mauvais ». On peut
craindre à ce moment là que nos hommes politiques ne donnent un coup de
téléphone au patron de l’Institut de Statistique, qu’ils ont nommé et qui
était en classe avec eux, pour lui demander de faire procéder à de
minuscules ajustements qui ne changeront rien au fond mais permettront de «
ne pas désespérer Billancourt ». De petits ajustements en petits ajustements
on finira bien sûr par arriver à des chiffres qui ne voudront vraiment plus
rien dire sur le long terme, mais d’ici là notre homme politique aura été
réélu.
Par exemple qui, parmi nos lecteurs, sait que le PIB français depuis 1998 a
connu une croissance supérieure au PIB …allemand ?
De qui se moque-t-on ?
Et donc, dans les appareils statistiques du monde entier je vois surgir deux
séries de données.
Celles dont on parlera au journal de 20 heures et qui auront toujours
tendance à être bonnes.
Celles dont on ne parle pas et dont on peut penser qu’elles reflètent la
réalité.
Et du coup, la boucle est bouclée.
Je me retrouve, comme en 1975, en face d’un monde où la difficulté est non
pas de découvrir l’information mais bien d’avoir la (bonne) information, le
but des pouvoirs publics étant de m’en empêcher.
Autrefois, rien n’était publié.
Aujourd’hui, tout est publié et je me retrouve noyé sous un véritable
déluge. Et je n’en sais pas plus. Plus ça change, plus c’est la même chose.
Ce qui m’amène à la question suivante :
Quelles sont les informations dont je vais avoir besoin ?
Je ne suis qu’un modeste financier ayant comme seul objectif d’essayer de
comprendre comment le monde fonctionne. Pour cela, je m’intéresse assez peu
à la notion qui pour beaucoup de gens est la plus importante : « Le monde
va-t-il bien ou va-t-il mal », tant à mon avis elle n’a aucun intérêt. Après
tout, « bien » ou « mal »sont des notions relatives et chacun peut avoir une
opinion différente.
Ce qui m’intéresse au premier chef, c’est l’évolution des marchés et des
économies, et les deux ne peuvent être analysés qu’à la marge.
La seule question importante est donc est-ce que le monde va mieux, ou
est-ce qu’il va moins bien ?
Et pour cela ma réponse est toujours la même.
Dans le fond, ce qui compte, c’est de savoir si le poids de l’Etat dans
l’économie augmente ou pas.
Si le poids de l’Etat dans l’économie augmente, cela veut dire que le nombre
de fonctionnaires est en hausse et cela déclenchera une hausse du PIB et
sans doute un déficit budgétaire et une augmentation de la dette. Le chômage
montera et avec lui nous aurons un accroissement de la pauvreté dans le
pays. Mais le PIB montera, au moins dans un premier temps. Si le poids de
l’Etat baisse dans l’économie, l’inverse se produira, le PIB baissera (peut
-être), les chiffres du budget s’amélioreront, la dette commencera à être
remboursée et la pauvreté reculera avec le chômage.
Et donc la marche à suivre pour le lecteur qui veut se faire une opinion sur
l’évolution en cours doit être toujours la même.
Des mesures favorables à la croissance de l’Etat doivent être considérées
comme négatives. De même pour les manipulations de taux d’intérêts et de
taux de change. De même pour les réglementations et les contrôles de prix ou
de marges. Par exemple, aux USA, les dépenses de l’Etat ont cessé
d’augmenter depuis l’élection il y a six ans d’une chambre des Représentants
républicaine, et du coup le marché est monté et le chômage a baissé, ce qui
est bien. Mais les réglementations ont littéralement explosé à la hausse, ce
qui est moins bien. De même en France, où M. Macron essaye d’arrêter la
descente aux enfers de la rentabilité des sociétés opérant dans notre pays,
mais où le droit du travail continue d’entasser réglementations nouvelles
sur réglementations nouvelles, ce qui fait que plus personne n’embauche plus
personne.
Des mesures favorables à la décroissance de l’Etat et à son retour vers ses
prérogatives régaliennes doivent être considérées comme favorables, comme on
l’a vu en Grande Bretagne en 1978, aux USA en 1980, en France en 1986, en
Suède en 1992, au Canada en 1994 et en Grande-Bretagne à nouveau depuis
2009.
Honnêtement, je pense que cette grille d’analyse est à la fois utile et
simple.
Le principal ennemi du capitalisme et de la liberté, c’est bien entendu nos
Etats emmenés par les « Oints du Seigneur », c’est-à-dire cette classe (au
sens marxiste du terme) qui prétend qu’elle sait mieux que nous ce que nous
voulons.
Comme le disait Ronald Reagan, « les mots les plus dangereux dans tous les
pays sont : Je viens de la part de l’Etat et je suis ici pour vous aider ».
Conclusion :
Plus les Oints du Seigneur voient leur pouvoir augmenter, plus je deviens
pessimiste.
Plus leur pouvoir diminue, et mieux je me porte, et tout le monde avec moi
(sauf les Oints du Seigneur).
Et ce qui compte c’est la tendance du mouvement et non pas son niveau
absolu.
Charles Gave
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