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6/9/13 Charles Gave
  La mort des fourmis ou l’euthanasie des rentiers !

Comme mes lecteurs le savent, je vis (et je sévis) depuis plus de trente ans dans les milieux financiers et économiques anglo-saxons. Et depuis au moins aussi longtemps, je me bats dans tous ces pays contre la notion keynésienne qui stipule que maintenir des taux d’intérêts bas, très bas, voire négatifs en termes réels, amène à des résultats favorables pour l’économie en général et pour l’emploi en particulier. Dans la vulgate keynésienne, l’absence de croissance serait due à une insuffisance de la demande et il est donc nécessaire de procéder à « l’euthanasie du rentier », individu malfaisant s’il en fut puisqu’il épargne et vit en dessous de ses moyens.

« Mort aux fourmis », tel est le cri de ralliement de tous les disciples du prophète de Cambridge. Tout cela n’est bien sûr qu’un tissu d’âneries et le fait que ce soit enseigné comme une vérité incontournable dans toutes les universités le confirme s’il en était besoin.

Démonstration

Imaginons qu’un banquier central incompétent (mais si, mais si, ce n’est pas si rare, en particulier aux USA en ce moment) décide de fixer le prix de l’argent (les taux courts) à un niveau beaucoup trop bas. Voilà qui ne manquera pas d’avoir un effet profond sur le taux de change de la monnaie de ce pays, qui baissera beaucoup pour se retrouver a un niveau totalement sous évalué. Cette brillante politique va complètement fausser tout le système des prix, puisque tous les prix dans un système économique dépendent de ces deux prix. Ce qui signifie que les prix ne veulent plus rien dire.

Or le système des prix n’est rien d’autre qu’un système d’information dont les entrepreneurs se servent pour arriver à leurs décisions. Si l’on bloque les taux de change et les taux d’intérêts, les pauvres chefs d’entreprise se retrouvent un peu comme un navigateur sans aucun instrument, en pleine mer, n’ayant aucune idée de l’endroit où il est et sans aucun moyen de savoir vers où aller. Plus aucun chef d’entreprise ne peut prendre une décision rationnelle. Ils arrêtent donc de prendre des décisions, et comme la croissance économique dépend des décisions qu’ils vont prendre, l’activité se met à stagner, le chômage à monter et l’économie à se ratatiner. Et si par hasard ils en prennent quand même, il est fort probable qu’elles seront mauvaises (trop de maisons en Espagne trop de fonctionnaires en France, trop d’usines en Allemagne…), ce qui ne fera que renforcer les tendances à la baisse du niveau d’activité.

J’ai souvent décrit par le passé ce phénomène, au point que nombre de mes lecteurs sont probablement persuadés que je suis obsédé par les effets désastreux des taux réels négatifs. Et pourtant je vais y consacrer une chronique de plus, tant ces taux trop bas me semblent massivement accroître la fragilité de l’économie tout en amenant à des récessions /dépressions de façon quasiment inévitable. Et parce que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Explication

En tant qu’entrepreneur ou dirigeant d’affaires, je peux emprunter pour deux raisons et deux seulement.

1. Je peux emprunter pour lancer une nouvelle affaire ou acheter une nouvelle machine outil. J’appellerai ce genre d’emprunt visant à accroître ma capacité de production un emprunt « capitalistique ». Ces emprunts entraînent par solde une augmentation du stock de capital dans le pays.

2. Je peux emprunter pour me rendre propriétaire d’un cash flow existant. Par exemple, je peux essayer de racheter mon principal concurrent. Bien entendu, je ne le ferai que si les taux d’intérêts sont suffisamment bas pour justifier cette opération. Appelons ce deuxième genre d’emprunt un emprunt « financier ». Ce deuxième type d’emprunt n’amène en rien à une augmentation du stock de capital dans le pays mais bien plus simplement à un changement de propriétaire et à une augmentation de la dette.

Le résultat final d’une telle transaction n’est donc pas d’accroitre le stock de capital mais d’accroitre le stock de dette…

Première remarque

Si un choc exogène vient à frapper cette économie, une économie plus endettée souffrira beaucoup plus qu’une économie moins endettée. L’accroissement du stock de dette sans accroissement de la capacité de production ne peut que fragiliser l’ensemble du système (voir le Japon depuis la bulle qui dura de 1987 à 1990, parce que les taux courts y étaient trop bas. Ils ne s’en sont toujours pas remis).

Deuxième remarque

Si les taux d’intérêts sont trop bas, c’est-à -dire s’ils sont très inferieurs à la croissance des profits dans les affaires déjà établies, alors les seuls types de prêts que les banques accorderont seront des « emprunts financiers » puisque le risque ex ante apparaîtra beaucoup plus faible que pour lancer une nouvelle affaire par exemple. En tant que banquier, je serais complètement idiot de prêter à un fou qui va probablement se casser la figure en essayant de lancer un nouveau produit plutôt qu’à un homme raisonnable qui veut racheter son principal concurrent. Ce qui veut dire que comme la somme des prêts est limitée à chaque instant par la capacité des banques à octroyer des crédits ( un multiple de leur capital), ceux qui veulent créer de nouvelles entreprises ou acheter une nouvelle machine outil ne trouveront pas un sou.

Les emprunts « financiers » marginalisent les « emprunts capitalistes ».

Et comme le stock de capital n’augmente plus - puisque l’argent manque parce que les taux sont très bas - la productivité se met à baisser et avec elle la croissance structurelle de l’économie, tandis que le chômage se met à monter -et le niveau de vie des classes moyennes s’effondre. Cet inévitable ralentissement économique fait baisser la rentabilité des affaires existantes, ce qui rend très difficile le remboursement des dettes « financières » accumulées par nos brillants repreneurs d’affaires. Les résultats ex post ne sont pas du tout à la hauteur de ce que les acheteurs d’affaires avaient anticipé. Les profits baissent, mais la dette, elle, ne baisse pas. Il faut donc mettre une partie du personnel à pied, ce qui renforce bien sur la spirale baissière….

Les travailleurs sont bien entendu les premières victimes de ces « dégraissages » (mot affreux s’il en fut). De ce fait, la confiance chez les salariés baisse, leur taux d’épargne se met à monter, et l’économie à plonger encore un petit coup. Derrière tous ces phénomènes désastreux, on trouve le désir d’une classe de privilégiés de transformer des profits en rente en capturant l’argent gratuit que leur fournit la banque centrale. Et dans nombre de pays, cette classe de privilégiés a pris le contrôle des banques centrales.
En réalité, dans un certain nombre de pays, une ploutocratie technocratique a pris le contrôle de nos monnaies et de nos démocraties. Pas dans tous, heureusement…

Conclusion

Comme le lecteur peut s’en rendre compte, les taux bas amènent fort logiquement à un ralentissement économique et à une très grande fragilisation des économies sous-jacentes, créés par un excès de dettes, à une paupérisation du monde du travail et en fin de parcours à une implosion du monde financier qui, lui même, scie avec entrain la branche sur laquelle il est assis, en partant du vieux principe « après moi le déluge ! ».

Si, en revanche, les taux courts sont maintenus à un niveau proche du taux de croissance des profits, alors l’incitation à l’emprunt financier disparaît. Prendre du levier, s’endetter ne paye plus. La rente a disparu. L’épargne du pays s’investit alors dans les emprunts capitalistiques, le stock de capital augmente et avec lui la productivité, le plein emploi règne et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Des taux d’intérêts trop bas favorisent donc non pas les entrepreneurs, mais ceux qu’il faut bien appeler des vautours qui n’ont qu’un objectif : voler les actifs créés par d’autres en profitant du fait qu’ils peuvent avoir accès à l’argent gratuit…parce qu’ils sont en bon terme avec la banque centrale, ayant été dans les mêmes écoles.

Des taux normaux favorisent les entrepreneurs.

Des taux bas favorisent ceux qui cherchent à se créer une rente non gagnée.

En termes simples une politique keynésienne arrive exactement au résultat inverse de celui recherché : le triomphe du rentier sur l’entrepreneur.

Et c’est pour ca que votre fille est muette !

Charles Gave

 

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