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7/5/13 Charles Gave
             Le monde va-t-il manquer de dollars ?

Rien n’est plus pénible que de réfléchir tout seul dans son coin, surtout quand une période est aussi agitée que celle que nous traversons. La tentation dans ces moments-là est plutôt de réagir à tout événement, important ou pas, et avec violence, plutôt que de réfléchir.

Or, plus les événements apparaissent insensés, moins il faut réagir et plus il faut réfléchir.

Mais qu’est-ce que veut dire « réfléchir » en pratique ?

Une chose toute simple : il faut s’efforcer de faire le tri entre le bruit et les tendances de fond, et pour y arriver, bien sûr, il faut s’extraire de l’esclavage du quotidien.

L’une des façons de procéder est de « repérer » dans le système économique une variable essentielle dont il est à peu près certain qu’elle va connaître des changements fondamentaux, et d’essayer de comprendre quelles seront les conséquences logiques des changements qui vont l’affecter.

Dans cet esprit, il me semble que le moment est venu de consacrer un article à l’une de ces variables, les comptes courants américains.

Qu’est-ce que « les comptes courants », va me demander le non initié ? La réponse est simple : c’est tout simplement la différence comptable entre ce qu’un pays achète et vend à l’étranger. Autrefois, cela s’appelait la balance commerciale. Et peu de choses ont autant d’impact sur le monde que l’évolution des comptes courants américains, comme le démontre le graphique ci joint.

Je vais d’abord expliquer la construction du graphique, puis les raisons qui en font un outil très important dans une politique de placement, pour terminer par un essai d’analyse de son évolution (probable) à venir.

Commençons par la construction de notre graphique.

1- Je prends la statistique des comptes courants américains telle qu’elle est publiée, et je divise le chiffre par le PIB US pour calculer le déficit ou le surplus extérieur des Etats-Unis en pourcentage de la richesse créée chaque année dans ce pays, pour pouvoir comparer le déficit ou le surplus à d’autres périodes dans l’histoire des 60 dernières années.

2- Je calcule la variation de ce ratio sur les12 derniers mois, en termes absolus.

3- Je l’inverse, ce qui veut dire que si les comptes courants américains se sont améliorés depuis un an de 1 % du PIB, le point correspondant sera à +1 % (en-dessous de zéro) sur l’échelle de gauche, s’ils se sont détériorés nous serons à -1 (au-dessus de zéro).

A ce point, la deuxième question que le lecteur doit se poser est : mais pourquoi est-ce si important ?

Pour y répondre, il faut faire un petit détour pour expliquer ce qu’est une monnaie de réserve. Les Etats-Unis contrôlent la monnaie de réserve mondiale, le dollar, ce qui veut tout simplement dire qu’ils sont le seul pays au monde à ne pas avoir de contrainte du commerce extérieur.

Et donc, quand les USA ont un déficit extérieur, ils le soldent en envoyant des dollars sur le compte des créditeurs. Et ces dollars deviennent des réserves de change pour les autres pays, qui se mettent à commercer entre eux en utilisant ces mêmes dollars. Quand la Corée du Sud commerce avec la Thaïlande (par exemple), les comptes sont soldés en dollars US.

Le déficit extérieur américain est donc la source principale de liquidités pour le commerce mondial, un peu comme une banque centrale l’est pour un pays.

Et donc si les comptes extérieurs US se « détériorent », le déficit commercial américain devient plus important, ce qui est une très bonne nouvelle pour le reste du monde qui se met à croître très fortement, n’ayant aucun problème de déficit extérieur puisque les USA en ont un.

Pour faire simple, les US importent plus qu’ils n’exportent et en contrepartie exportent du cash (de la liquidité), ce qui fait que tout le monde est à l’aise et que l’on peut attendre des marchés haussiers un peu partout.

Par contre, si les comptes US « s’améliorent », cela veut dire que les Etats-Unis importent moins (première mauvaise nouvelle), exportent plus (deuxième mauvaise nouvelle, la concurrence est rude) et envoient moins d’argent à l’étranger qu’un an plus tôt (troisième mauvaise nouvelle).

Et donc toutes les grandes crises économiques et financières se sont produites quand les comptes courants américains « s’amélioraient » de plus d’un demi- point du PIB d’année en année.

Et cela pour une raison très simple : certains emprunteurs en dollars (souvent des pays) ne réussissaient plus à se procurer les dollars dont ils avaient besoin pour servir leurs dettes et donc se mettaient à faire faillite (voir certains noms sur le graphique).

Or les comptes courants américains vont s’améliorer de façon inéluctable dans les 3 ans qui viennent, et cela sous l’effet de trois forces :

- L’hyper compétitivité du dollar US, dont le taux de change est grotesquement sous évalué aujourd’hui.

- La révolution énergétique en cours qui va rendre les USA indépendants énergétiquement assez vite (ce qui correspond à la moitié de leur déficit extérieur actuel).

- La robotisation du travail, qui a bien commencé dans le monde entier mais surtout en Chine, ce qui va amener les entreprises américaines à fermer leurs usines en Chine pour les rouvrir aux USA.

Sous l’effet de ces trois tendances lourdes, on peut « craindre » que les comptes courants américains ne deviennent excédentaires à relativement court terme pour la première fois depuis 1971 (début des changes flottants).

Et là, le monde va rentrer dans une situation complètement nouvelle qui devrait amener tout un chacun à se poser nombre de questions.

Allons-nous avoir une grave crise financière dans les trimestres qui viennent ? Qui va procurer de la liquidité en quantité suffisante au commerce international ?

D’où va venir l’argent pour solder les dettes du passé en dollars ?

Allons-nous rentrer durablement dans une pénurie durable de dollars? Ce qui impliquerait une hausse formidable, à venir, de la monnaie US, mettant encore plus en danger les pays déjà endettés dans cette monnaie.

D’autres monnaies de règlements du commerce international vont-elles émerger (on espérait l’euro et ce sera sans doute le renminbi) ?

Que va-t-il se passer au Moyen Orient si le prix du pétrole s’écroule, ce qui parait probable ?

Si les USA deviennent autosuffisants énergétiquement, pourquoi devraient-ils continuer à conserver des forces militaires importantes en Europe et au Moyen Orient ?

Et s’ils s’en vont, qui va protéger l’Europe militairement ?

Que va- t-il se passer en Russie si le pétrole s’écroule ?

Etc.

A toutes ces questions, je n’ai pas de réponses, ce qui ne m’empêche pas de réfléchir à des réponses possibles.

Mais en attendant d’en apprendre un peu plus, je sais une chose avec certitude : tout investissement qui va me donner des cash flow positifs en dollars US pendant les années qui viennent va beaucoup, beaucoup monter et me donner de profondes satisfactions financières, ce qui est déjà quelque chose.

Et donc j’attends paisiblement avec une large part de mon portefeuille constituée, et depuis bien longtemps, d’actifs qui présentent cette caractéristique.

Ce qui me permet de réfléchir.

Charles Gave


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