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8/2/13 Charles Gave
                  Le Japon attaque l’Allemagne !

Depuis quelques jours, les autorités politiques et monétaires allemandes sont dans tous leurs états : tour à tour, le ministre des Finances allemand, le président de la Bundesbank et enfin Mme Merkel elle-même se sont mis à tirer à boulets rouges sur ce qui semble bien être une nouvelle donne politique et monétaire au Japon.

M. Abe, le nouvellement élu Premier ministre, avait fait en effet campagne pour que la banque centrale locale, la BOJ, fasse baisser les taux de change du yen en imprimant suffisamment d’argent pour que de plus l’indice des prix cesse de baisser. Et depuis ces annonces de campagne, le yen baisse…

Chacun sait en effet que le Japon est en déflation depuis de nombreuses années…et il semble bien que M.Abe ait l’intention de forcer la BOJ à faire ce qu’il veut, puisqu’il va pouvoir nommer le nouveau gouverneur de la BOJ et deux autres membres du Conseil très prochainement.

Nos amis d’Outre-Rhin, du coup, se mettent à hurler au prétexte que le Japon recommencerait à utiliser l’arme de la dévaluation compétitive, comme dans les années 30 de sinistre mémoire, que la sacro sainte indépendance de la Banque centrale du Japon serait remise en cause, tandis que cette politique bafouerait tous les accords signées au moment des G 20 …Bref les autorités allemandes semblent bien excitées tout à coup…
Je vais essayer d’expliquer pourquoi…

Commençons par une analyse objective de la situation.

La balance commerciale tend à suivre l’évolution du taux de change avec un délai d’environ 6 mois.

Et comme chacun peut le voir, depuis 2008, le Japon est passé d’un excédent à un déficit commercial vis à vis de la zone euro.

Derrière cette réalité, une explication toute simple. Depuis le début de la crise financière en 2008, le yen est passé de 160 yens par euro à moins de 100 yens par euro pendant l’été 2012, soit une réévaluation de plus de 35 % (aussi curieux que cela puisse paraître, si je dois donner moins de yens pour un euro, cela veut dire que le yen est monté).

La question suivante doit donc être : mais qu’est-ce qui a amené le yen à monter de façon aussi vertigineuse alors même que l’économie japonaise se portait plutôt mal ?

La réponse est: l’inaction et l’incompétence de la BOJ.

Pendant la grande crise de 2008-2009, toutes les banques centrales se mirent à suivre une politique très expansionniste pour enrayer la crise de liquidités qui venait de se déclencher (hausse du bilan de la banque centrale, rachetant des obligations d’Etat par exemple…), toutes sauf la BOJ…

C’est ainsi que, pendant que la base monétaire aux USA (monnaie de banque centrale) triplait quasiment de 2008 a 2012, la base monétaire japonaise, elle, bougeait à peine et restait nettement plus basse en termes absolus qu’en 2006…

Plus de dollars (et d’euros, et de livres sterling etc.) et la même quantité de yens, que croyez-vous qu’il arriva ? Une réévaluation massive du yen…

Bien entendu, cette réévaluation du yen faisait les affaires de tout le monde en dehors du Japon, en particulier en Europe. L’industrie japonaise reste en effet la deuxième au monde, après celle des USA avec laquelle elle est assez peu en concurrence. Le Japon est par contre en concurrence frontale avec l’Europe en général et l’Allemagne en particulier. Les Japonais produisent en effet à peu prés tout ce que les Allemands produisent : voitures, machines outils, robots industriels, chimie fine, chimie lourde, acier spéciaux…. et la qualité des produits est similaire.

Ainsi donc, après une réévaluation de plus de 35 %, le principal concurrent de l’industrie allemande, l’industrie japonaise, n’était plus concurrentielle du tout vis-à-vis de sa principale concurrente, l’industrie allemande. Une partie de l’explication du miracle allemand des quelques dernières années peut donc s’expliquer au moins partiellement par cette mise hors course du principal rival de notre voisin. Curieusement, on a assez peu entendu les autorités allemandes pendant toute cette période…

En termes de profits des sociétés, ceux des sociétés allemandes ont été très supérieurs à ce qu’ils auraient dû être si les taux de changes avaient été « normaux », tandis que ceux des sociétés japonaises étaient bien pires et s’écroulaient… et tout cela , à cause d’une erreur de la banque centrale japonaise.

Tout ce que cherche donc à faire M. Abe, c’est à corriger une situation de fait extrêmement défavorable à l’économie japonaise, situation créée par une erreur patente des autorités monétaires de son propre pays. Après tout, gérer en fonction de l’intérêt du pays est ce que l’on attend d’un homme politique.

Mais je comprends parfaitement que les autorités allemandes hurlent, tant la situation précédente leur était favorable. Remarquons au passage que les autorités françaises ne disent pas un mot, alors que ce qui reste de l’industrie française va continuer à être massacré, la pression nippone s’ajoutant à la pression allemande, ce qui rassure sur la compétence extrême de nos élites !

Ce que dit de plus M.Abe avec beaucoup de bon sens, c’est que si une banque centrale a fait bêtise sur bêtise, comme la BOJ depuis vingt ans, on voit mal pourquoi elle devrait rester indépendante. L’indépendance se mérite et la BOJ ne s’est pas couverte de gloire récemment, c’est le moins que l’on puisse dire.

Donc le Japon va sans doute continuer à dévaluer le yen, le faisant passer de 120 yens par euro à 150 yens par euro, ce qui rendra bien sur l’industrie japonaise compétitive à nouveau.

Ce qui veut dire que les profits de toutes les sociétés en concurrence avec des sociétés nippones vont subir de fortes pressions à la baisse. Il ne faut donc avoir en portefeuille que des sociétés dont on est certain qu’elles ne seront pas en concurrence avec des sociétés nippones et rechercher des sociétés ayant des chiffres d’affaires en hausse, tant la plus grosse exportation du Japon cette année et l’année prochaine va être une déflation des prix des produits industriels : pour sortir de la déflation chez eux, les Japonais vont l’exporter chez les autres. Il va être dur, très dur d’avoir des chiffres d’affaires en hausse.

De 2009 à 2012, il valait mieux avoir des actions industrielles en Allemagne qu’au Japon, les marges Outre-Rhin étant protégées par la surévaluation du taux de change de la monnaie de leur principal concurrent. A mon avis, on peut légitimement se poser la question sur le bien fondé d’une telle politique de placement.

Reporter tout ou partie de ses actions industrielles vers le Japon me paraît raisonnable dans les circonstances actuelles.

Reste bien sûr la possibilité que le Japon ne subisse de telles pressions de la part des Etats- Unis qu’ils abandonnent ce qui paraît être une politique fort légitime. A mon avis, l’administration Obama, face à la Chine, préfère et de loin avoir un Japon fort qu’un Japon faible. Et donc je ne crois pas trop aux diplomates américains volant au secours de l’Europe…et comme les USA font avec M. Bernanke, et depuis fort longtemps, ce que les Japonais veulent faire aujourd’hui, on voit mal au nom de quel principe les Etats Unis pourraient empêcher les autorités du pays du Soleil Levant de suivre un si bon exemple.

Plus je regarde le monde, et plus j’ai envie d’être investi en Asie.

Charles Gave


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