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30/4/14 Charles Gave
     Elections européennes : je n’ai pas de candidat
                          pour me représenter !

Nous allons avoir des élections au Parlement européen, et elles vont être très importantes.

Pour une fois, les peuples européens vont avoir l’occasion de s’exprimer. Pour mes lecteurs, je vais donc essayer de résumer ce que seront les enjeux et, bien sûr, je vais reprendre un certain nombre d’idées qui me sont chères, ce qui donnera peut être l’impression que je deviens gâteux et que je me répète. Mais tant pis, il vaut mieux que ces choses soient dites trop souvent que pas assez.

L’Europe, de 1790 à 1945, a été déchirée par un conflit permanent entre deux Etats- nations, la France et l’Allemagne. Après la seconde guerre mondiale, il fut décidé de trouver une solution à ce conflit et deux routes s’offrirent aux Européens.

La première fut « portée » par des hommes politiques issus de la Démocratie chrétienne, Robert Schuman, Adenauer, de Gasperi, inspirés par le pape de l’époque, Pie XII. Elle consistait à s’appuyer sur l’Europe dite des « nations » et sur les peuples européens. Un peu comme dans l’Europe chrétienne du Moyen Age, toutes les expériences étaient possibles. Au Moyen Age on vit émerger des villes-Etat (Florence, Venise), des confédérations fort lâches du style Saint Empire Romain Germanique, qui n’était ni Saint, ni Romain ni Germanique, des institutions bizarres du style de la Ligue hanséatique, et tout cela coexistait avec des royaumes où les Etats-nations du futur commençaient à voir le jour (France, Suède, Grande Bretagne, Espagne).

Le pouvoir politique dans ces institutions pouvait être fort ou faible, mais personne ne doutait que l’Etat fût, comme toutes les autres institutions, soumis à des règles précises et contraignantes. En cas de conflit d’interprétation sur ces règles, la Papauté pouvait être choisie comme arbitre entre les adversaires.

Ce que proposèrent les démocrates chrétiens fut donc une solution où les peuples, les nations, resteraient indépendants, mais où les Etats locaux abandonneraient un certain nombre de leurs prérogatives au profit d’un centre commun (Bruxelles au lieu de Rome) et ces abandons seraient régis selon le principe de subsidiarité, cher à l’Eglise catholique. Ne sont appelés au niveau de l’Evêché que les problèmes qui ne peuvent être traités au niveau de la paroisse, et ne sont appelés au niveau de Rome que les problèmes qui ne peuvent être résolus au niveau de l’Evêché…

D’après les démocrates chrétiens, ce qui avait créé les désastres, ce n’était donc pas les nations ou les peuples, mais les Etats, et il fallait trouver une solution pour empêcher ces Etats de continuer à se poser en idoles au nom desquelles tous les crimes pouvaient être commis (la fameuse raison d’Etat, inventée en France bien sûr, par les légistes de Philipe le Bel).

La seconde solution fut proposée par Jean Monnet et adoptée d’enthousiasme par tous les technocrates français (Delors Trichet, Lamy… ), c’est-à-dire par tous les adorateurs de l’idole étatique. Leur analyse était différente. Les crimes n’avaient pas été commis par des Etats, mais par des nations. Il fallait donc supprimer les nations européennes et fondre tous les peuples européens en un seul peuple, et remplacer le patriotisme, c’est-à-dire l’amour de la terre de ses pères, par l’amour du droit européen, rédigé par eux bien sûr.

Ces deux conceptions naviguèrent côte à côte de façon un peu malaisée (on se souvient de la politique de la chaise vide du général de Gaulle, indigné par les envahissements de la souveraineté française par les partisans d’une Europe puissance.)

Car c’est là qu’est la frontière.

D’un côté, il y a ceux qui veulent une Europe fondée sur la liberté, et donc la possibilité pour chaque peuple et chaque nation de choisir sa voie propre librement, et de l’autre nous avons des gens qui veulent reconstituer une Europe puissance, centrée sur un Etat européen qui seul aurait le monopole légal de la violence parce qu’il serait le seul à dire le droit.

Dans le premier cas, on établit des règles du jeu communes et des procédures d’arbitrage et on laisse la concurrence entre Etats s’établir, dans l’autre, on supprime les Etats nationaux et on institue un monopole étatique au centre du système, gouverné par nos génies.

D’un côté la Suisse, de l’autre l’U.R.S.S. Arrive la réunification allemande. Les technocrates français savent très bien que l’Etat allemand est mieux géré que l’Etat français et que le DM va devenir la monnaie européenne. Et donc ils mettent le marché en main à l’Allemagne : la réunification sera autorisée contre l’abandon de l’idée de l’Europe chrétienne par les Allemands, qui en étaient les principaux défenseurs, et l’euro sera la première étape vers un Etat européen.

Avec l’euro, dira Mitterrand, j’ai cloué les mains de l’Allemagne sur la table. On sait ce qu’il en advint, et les ministres des finances français vont maintenant prendre leurs ordres à Berlin, la main tendue. Revenons aux élections, qui sont à chaque fois un choix personnel. Depuis toujours, j’ai été un partisan convaincu de l’Europe libertés et je me suis opposé autant que je l’ai pu aux partisans de l’Europe puissance. Je pense que la tentative de créer une Europe puissance est en train d’échouer lamentablement et que les peuples vont reprendre leur liberté, comme ils l’ont fait en URSS quand elle s’est écroulée.

Mais par contre, je n’ai pas du tout envie de revenir aux Etats-nations du XIXe et du XXe siècle, tant je sais que leur réémergence serait un véritable désastre.

Idolâtrer une création humaine comme l’Etat m’est interdit depuis longtemps, en fait depuis Moïse et le Sinaï : « Tu n’auras qu’un Dieu ». Les pays européens sont grands quand chacun d’entre eux est libre de son destin et collabore avec tous les autres, volontairement et selon des procédures acceptées par tout le monde.

Car le « déficit démocratique » dans l’Europe puissance est tout simplement monstrueux.

Comme l’a dit Jean Paul II, bon Polonais s’il en fut, la liberté individuelle, c’est de pouvoir et de vouloir faire ce que l’on doit faire, et elle ne peut s’exercer pleinement que dans son pays. Car ce qui est extraordinaire dans l’Europe, c’est son incroyable diversité.

Chaque pays a son génie propre, et vouloir transformer des Grecs, des Italiens ou des Français en Allemands est monstrueux de bêtise. Mais il est encore bien pire de forcer des peuples anciens et fiers à obéir aux ordres données par des dirigeants d’une autre nation. Cela a été essayé souvent dans l’histoire (Napoléon, Hitler…) et cela s’est toujours terminé dramatiquement.

Or aux prochaines élections, je n’aurai aucun parti qui représentera mes vues, celles de l’Europe chrétienne. Les technocrates français, menés par Chirac et Jospin, ont même refusé que mention soit faite de ces racines dans les documents officiels Quand on songe à Mitterrand qui faisait campagne avec une petite église en arrière plan de son affiche, on en reste confondu…

Je crains donc que le ressentiment contre les partisans de l’Europe puissance ne soit absolument monstrueux, tant les peuples ont la sensation d’avoir été trahis et abandonnés depuis des lustres. Nous risquons de ce fait d’avoir une abstention monumentale, tant de nombreux électeurs ne vont pas se donner la peine de se déplacer. Ce qui va laisser un boulevard aux partisans du retour à l’Etat-nation enfermé sur ses frontières et dans ses peurs.

Le contraire d’une erreur peut être une autre erreur. Quand les gens me demandent ce qu’il faut faire avec l’euro, je leur réponds qu’à l’évidence ça ne marche pas et que ce n’est pas moi qui ai inventé cette horreur. La solution est de discuter entre Européens pour savoir comment en sortir sans foutre en l’air l’Europe que j’aime. Aux élections, j’ai le choix entre des gens qui me disent que tout va très bien pour eux, merci, et des gens qui veulent tout casser.

Je n’ai pas de candidats pour me représenter.

Si les lecteurs voulaient bien m’éclairer, j’en serais très content…

Charles Gave


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