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16/1/13 Charles Gave
           Comment allons-nous nous débarrasser
                      des dinosaures étatiques ?

Commençons par deux petits rappels :

Le social-clientélisme est ce régime politique qui se maintient au pouvoir en achetant les voix des électeurs grâce à des emprunts qui seront remboursés par leurs enfants ou leurs petits- enfants. Il ne s’agit en aucune façon d’un régime démocratique puisque la démocratie se définit par le vote des impôts et que nos enfants ou petits enfants, qui ne sont pas encore nés, ne peuvent donc certainement pas voter sur des prélèvements dont ils ne sauraient être l’objet. (Pour de plus amples explications, voir mon ouvrage « l’Etat est mort vive l’état », François Bourin éditeur, novembre 2010).

Rip Van Winkle est cet homme qui, un beau jour de l’été 1810, partit de chez lui dans l’Etat de New-York, s’endormit à l’ombre d’un arbre et se réveilla… trente ans après pour trouver son épouse décédée, ce qui ne le chagrina guère car elle était fort désagréable, mais ce qui lui permit de finir ses jours tranquillement chez sa fille qui ne crut jamais trop à son histoire….

Imaginons que notre Rip Van Winkle se soit endormi en France en 1789 (et non pas aux USA en 1810) et qu’il se soit réveillé en 1820.

Plus rien de ce qui faisait le royaume de France n’existait, la Révolution française étant passée par là. Et donc il aurait eu bien du mal à s’adapter.

Imaginons que notre Rip se soit endormi plutôt en 1889, quelque part en Europe. S’il se réveille en 1920, alors là, le monde a vraiment changé. L’Empire Austro-Hongrois n’existe plus, la Russie s’est transformée en Union soviétique, le Japon est la première puissance asiatique, les USA sont en train de devenir la première puissance industrielle, l’Allemagne, en pleine déconfiture, est ruinée et est devenue une république, la Pologne est de retour…

Enfin, supposons que notre héros se soit endormi cette fois en 1989.

Nous ne sommes pas au bout de son sommeil, mais déjà l’Union soviétique a disparu, la Chine est devenue capitaliste, l’Allemagne s’est réunifiée, la Tchécoslovaquie n’existe plus, la Lituanie est redevenue un pays indépendant avec les autres pays baltes, le Moyen Orient est en plein bouleversement, les monnaies nationales ont disparu en Europe un peu partout, et la moitié de l’Europe, celle du Sud, est en faillite.

En fait, il semble bien que la durée de vie de la plupart des institutions humaines depuis l’émergence du capitalisme et de la révolution industrielle soit d’environ 70 ans. Au bout de 70 ans, les institutions deviennent tellement rigides et inflexibles qu’il n’y a pas d’autre solution que leur disparition, en général dans des convulsions extraordinaires. Et ici, je vais me livrer à une petite analyse sociologique, tout à fait marxiste.

Pour Marx, l’infrastructure économique détermine toujours la superstructure politique. Par là, il veut dire que le mode de production génère à terme une structure politique qui lui est favorable.

Notre organisation politique actuelle vient de la révolution industrielle, qui organisait les activités humaines en immenses rassemblements structurés en forme de « pyramides ». Au sommet, « le chef » donnant des « ordres » à sa hiérarchie, laquelle les fait descendre vers le bas, et rien ne remonte du bas vers le haut. C’est le mode organisationnel des « konzerns » ou des puissants trusts américains ou anglais, et bien sûr des partis communiste ou nazi, tant le modèle politique s’est mis à calquer cette forme d’organisation.

Le modèle précédent (celui de la fin du XVIIIe) était fondé sur la possession de la terre par l’aristocratie, menant à la domination de cette dernière dans l’appareil politique, et il fut bien entendu détruit par la révolution industrielle, pour laisser la place au suivant, le modèle hiérarchique.

Lorsque le système économique se « paye » un système politique devenu obsolescent, cela s’appelle une révolution, et de nombreuses structures que chacun croyait immortelles (comme la royauté, l’Union soviétique…) disparaissent. Eh bien, la même chose est en train de se passer.

Le capitalisme est en train de changer à toute allure.

La structure pyramidale d’autrefois, où la valeur ajoutée était créée par la mise en face de capitaux et de populations immenses, est en train d’être remplacée par un système où la valeur ajoutée est créée par l’invention. L’inventeur remplace le manager, le commando les lourds escadrons blindés, la démocratie directe le parti unique.

Les nouvelles structures économiques sont « plates », très flexibles, mobiles géographiquement, et très difficiles à taxer, au contraire des grandes structures pyramidales d’autrefois. Et pourtant nous continuons à voir nos systèmes politiques organisés sous forme de pyramides gigantesques qui n’arrivent plus à se financer puisque la matière fiscale s’est organisée pour leur échapper. Il y a donc une énorme contradiction entre l’organisation de la politique et les nouvelles structures économiques, et nous allons par conséquent avoir révolution sur révolution pour que la politique s’adapte à nouveau à l’économie. Et tout cela est déjà fort visible… (voir Union soviétique, Chine, et les déboires actuels de nos finances publiques).

La grande affaire des années qui viennent sera donc : comment allons-nous nous débarrasser de ces dinosaures étatiques, alors même qu’une majorité de la population vit à leurs crochets et continue à voter pour le maintien de ces structures obsolètes, puisque ces monstres ne peuvent plus taxer une valeur ajoutée qui est devenue complètement immatérielle et qui leur échappe ?

Dans ma grande naïveté, il y a deux ou trois ans, quand j’ai écrit « l’Etat est mort, vive l’état, » je pensais que les contraintes liées à l’endettement allaient forcer ces pays à réformer leurs Etats, un peu comme la Suède depuis 1992. Erreur funeste. Les politiques ont tout simplement pris le contrôle des banques centrales et ces banques centrales ont reçu l’ordre de financer les dettes étatiques en achetant directement les obligations émises par les gouvernements. Plus de différence entre les banques centrales et le Trésor public, telle est la nouvelle donne. Les Etats ont nationalisé la monnaie.

Je n’ai aucune idée de ce que cela va nous amener à terme, inflation, déflation, protectionnisme, fin de la globalisation, appauvrissement général, ou que sais-je d’autre ? De cela, personne n’a la moindre idée, et je préfère donc rentrer dans cette période en détenant des actifs émis par le futurs vainqueurs, c’est-à -dire des actions des « sociétés de la connaissance », plutôt qu’en détenant des actifs qui n’ont aucune contre valeur dans une amélioration du système productif et donc ne « valent » rien, à terme.

Dans la révolution précédente, il valait mieux être « long » sur les grands industriels, et « short » sur l’aristocratie terrienne. Aujourd’hui, à mon humble avis, il vaut mieux être « long » sur la connaissance et « short » sur le social-clientélisme.

Ou pour faire simple : il faut vendre de la monnaie et acheter du capital (productif).

Charles Gave

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