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10/9/15 Charles Gave
     
       Ces deux crimes qui ont assassiné l’économie  
                                  
mondiale !

J’enrage.

Nous sommes sans doute en train de rentrer dans une nouvelle crise financière d’anthologie qui va encore une fois frapper les petites gens et les entrepreneurs beaucoup plus que les princes qui nous gouvernent. Des millions de gens vont se retrouver au chômage, des fortunes vont disparaître en quelques jours et un nuage noir va peser sur le monde.

Et tout cela va nous arriver parce que nous sommes gouvernés depuis des années par des idéologues ou des crapules qui veulent nous imposer leurs cadres de pensée, leurs idées, leurs préférences alors même que personne ne les a élus pour ça. Comme toujours, lorsqu’un désastre se produit, la chasse aux boucs émissaires va s’ouvrir, et je laisse au lecteur le soin de deviner qui va être rendu responsable des calamités qui vont se produire. Ce n’est pas bien difficile, les suspects habituels feront l’affaire.

Pour comprendre pourquoi ce qui va arriver était inéluctable, il faut revenir à ce qu’Aristote appelle les « causes premières », c’est-à-dire l’événement ou la prise de décision à l’origine du déroulement quasiment inéluctable des événements qui s’ensuivent.

Pour moi, il y a deux causes premières aux difficultés qui s’annoncent : l’euro et la capture de la Banque centrale américaine par une ploutocratie.

Ces deux machines à détruire à la fois la croissance et nos démocraties ont été mises en place dans les années 1990 à 2000 du siècle précédent, ce qui m’amène à une première remarque.

Entre une mauvaise décision et ses conséquences, il peut se passer des décennies. Que le lecteur pense aux 35 h en France. Imposées en 1997, c’est aujourd’hui que nous en payons la note. Ou encore aux fonctionnaires municipaux embauchés par l’Etat de l’Illinois il y a vingt ans avec des conditions de salaires et de retraites insensées. Il a fallu attendre 2015 pour que l’Illinois soit en faillite. Qui se souvient du nom des politiciens de l’époque à Chicago ?

La réalité est que les crimes économiques sont rarement imputés aux vrais criminels qui les ont commis parfois des décennies plus tôt. Les crimes économiques ne sont donc pour ainsi dire jamais payés « cash ». Aux citoyens à apprendre de leurs erreurs et à se méfier des démagogues. S’ils n’en sont pas capables, l’Argentine ou le Venezuela seront notre futur.

Mais revenons à nos deux causes premières, en commençant par l’euro.

Je ne vais pas une fois de plus expliquer pourquoi l’euro est un monstre et pourquoi il nous a amenés dans le désastre actuel. Mais je veux expliquer où est la faute contre l’esprit, la seule impardonnable.

Puisque nous en sommes au niveau supérieur, celui de la philosophie, je vais donc simplement expliquer pourquoi logiquement l’euro ne pouvait pas marcher.

Comme les lecteurs ont dû le remarquer, je suis un wicksellien. Wicksell était un économiste suédois de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Pour que la croissance soit optimale, nous dit Wicksell, il faut que le taux d’intérêt soit sur le taux de croissance, toute déviation entre les deux entraînant de mauvaises allocations du capital et donc des booms suivis d’effondrements spectaculaires. Cette théorie explique fort bien la réalité. Je pourrais le prouver, mais ce n’est pas le but de cet article. Je demande donc au lecteur d‘accepter ce point comme « prouvé », ce qui me permet de revenir à notre sujet.

Imaginons pour les besoins de la démonstration qu’un pays en Europe ait un taux de croissance « structurel » de 2 % par an (l’Allemagne par exemple), alors qu’un deuxième pays aurait un taux de croissance de 0,5 % par an (l’Italie). Si nous suivons Wicksell, il faudrait que le premier pays ait des taux d’intérêts à 2 % et le deuxième des taux à 0,50 %, et que le taux de change soit laissé libre de fluctuer entre les deux pour assurer la convergence des deux systèmes de production.

Or, dans le système de l’euro, il ne peut pas y avoir deux taux d’intérêts de marché, et le taux de change est fixe. Les banquiers centraux, n’étant à l’évidence qu’une forme non élue (c’est-à-dire la pire) de politiciens, vont me coller au début des taux d’intérêts à 1,25 %, ce qui créera un boom en Allemagne et une dépression en Italie. Au bout de quelques années de ce lit de Procuste, ils paniqueront et mettront les taux à zéro pour tout le monde, ce qui bien sûr n’arrangera rien du tout, comme on le voit tous les jours,
puisque le taux de change ne peut s’adapter.

Casser le thermomètre guérit rarement le malade.

L’erreur philosophique commise par les fondateurs de l’euro a donc été de mettre en place un système qui allait favoriser les forts et pénaliser les moins forts, et qui allait amener à une divergence de plus en plus marquée des économies. Cette erreur a été fort bien diagnostiquée par Hayek, qui lui a donné le nom de présomption fatale. Sous cette réalité, se dissimulent à la fois un mépris du peuple, de la démocratie et du rôle du marché de la part des élites dirigeantes, ce qui m’a amené à dire bien souvent dans le passé qu’il n’y avait guère de différences entre l’Union soviétique et la construction européenne telle que l’ont organisée les Delors, Trichet , Lamy, tous Français et tous persuadés qu’ils étaient plus intelligents que tous les citoyens de tous les pays européens réunis.

Cette crise du sud de l’Europe a entraîné un véritable effondrement des importations de ces pays, qui n’était que la conséquence logique de l’effondrement des niveaux de vie locaux consécutifs à une politique monétaire débile, et je peux assurer le lecteur que tant que l’euro sera présent, l’économie de la zone euro sera régie par la phrase que les damnés de Dante voient inscrite sur le fronton des portes de l’enfer : « Vous qui entrez ici, perdez toute espérance ». Cette crise va bien sûr entraîner l’effondrement de tous nos systèmes sociaux, y compris en Allemagne.

Venons en à la prise de pouvoir par une ploutocratie aux USA, cause numéro deux.

Solow, qui fut prix Nobel d’économie, a démontré de façon fort convaincante à la fin des années 50 qu’un système économique ne pouvait marcher que si trois variables étaient laissées libres de fonctionner. Le coût du capital et la rentabilité du capital avaient été identifiés par Wicksell comme absolument déterminants quasiment un siècle plus tôt. Solow ajouta à ces deux premières une troisième variable, le risque.

En principe, plus la rentabilité du capital est potentiellement élevée et plus le risque de tout perdre est fort. Et c’est là ce qui fait la justification morale du capitalisme (n’en déplaise à notre Pape actuel qui ne comprend rien de rien à l’économie, ce qui est fort regrettable d’autant qu’il devrait, entre tous, se souvenir de la phrase « beaucoup sont appelés et peu sont élus »).

Mais prendre des risques est insupportable pour ceux qui souffrent de cupidité. Ils veulent bien gagner de l’argent, mais ils ne veulent pas en perdre. Et donc à la fin des années 90, un groupe de pression fort bien organisé, emmené par Goldman-Sachs, Morgan-Stanley et JP Morgan, arriva à la conclusion que cette histoire de tout perdre était idiote et qu’il fallait prendre le contrôle de la Fed pour diminuer le risque dans la sphère financière, où ils exerçaient leurs talents.

Ce qu’ils firent.

Et depuis, les taux d’intérêts ont été manipulés comme jamais dans l’histoire pour faire disparaître le risque sur les opérations financières du type « leverage buy out » et autres manipulations qui permettent à des financiers de s’approprier l’économie réelle sans ajouter la moindre valeur au système, en vertu du vieux principe de l’économie de copinage : « Si ça marche c’est pour moi, si ça ne marche pas c’est pour l’Etat ».

Et donc nous sommes aujourd’hui dans un capitalisme financier qui a perdu toute justification morale puisque le risque n’existe plus pour ceux qui l’exercent. Il s’agit purement et simplement de vol en bande organisée. De ce fait, et comme le risque n’a pas disparu dans l’économie réelle, plus aucun investissement n’y a lieu puisque tout le capital disponible tourne comme un toton dans l’économie financière tandis que productivité, emplois bien payés et croissance s’effondrent et que des fortunes immenses se créent sans aucune justification morale.

Le crime commis aux USA n’est donc pas un crime « intelligent », comme nous en avons été les victimes en Europe, mais un crime contre l’esprit même du système qui veut que la contrepartie d’une fortune soit une prise de risque considérable qui aurait réussi.

Conclusion

Ces deux cancers sont en train de faire crever l’économie mondiale, et la bonne nouvelle est que nous arrivons sans doute à la fin des replâtrages divers et variés que des autorités qui n’ont plus aucune légitimité ni morale ni démocratique nous imposent, sans aucun résultat bien entendu.

Mais ces deux crimes sont de natures différentes.

Le premier trouve son origine dans l’orgueil, le second dans la cupidité.

En Europe, nos soi-disant élites ont commis un crime contre l’intelligence qui a peut être pour excuse que leurs intentions n’étaient pas basses, même si les résultats sont désastreux.

Aux USA, la situation est bien pire.

Les élites financières ont commis un crime contre l’esprit même du système, c’est-à-dire un crime moralement indéfendable. Ils veulent s’enrichir sans prendre de risques et pour arriver à leurs fins, ils ont pris le contrôle de l’Etat.

Je peux, peut être, pardonner à celui qui me prend mon argent soi-disant pour le distribuer aux pauvres que son action a créés. En aucun cas par contre, je ne peux pardonner à un riche de piquer l’argent de la quête le dimanche à la messe.

Le premier est un crime contre la logique, le deuxième un crime contre la morale qui régit le système, et qui donc ne peut pas ne pas mener à l’effondrement même du système.

Le premier crime m’agace, le deuxième me répugne, et ce n’est pas la même chose.
Aux citoyens de nous débarrasser d’une classe intellectuellement incompétente en Europe.

Aux USA, ce serait plutôt le travail de la Justice.

Charles Gave


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