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2/9/12 Charles Gave
                     Ci-gît l’économie française !

Certains crimes se payent comptant. Pour d’autres, la note est présentée au coupable bien des années après, et les crimes économiques rentrent sans conteste dans cette deuxième catégorie. Pour illustrer mon propos, je vais prendre une année clé dans l’Histoire moderne où quatre pays, confrontés au même défi, ont choisi quatre solutions différentes pour y faire face, alors même qu’il n’en existait qu’une seule convenable. Vingt ans après, celui qui a choisi la bonne solution caracole en tète de toutes les statistiques de croissance et de santé financière tandis que les trois autres souffrent de maux divers et variés qui engendrent absence de croissance, chômage, endettement, crises financière et politique…

Le défi était simple : comment gérer nos Etats sociaux-démocrates tout en maintenant une bonne compétitivité, c’est-à-dire comment empêcher qu’une croissance incontrôlée des systèmes sociaux ne débouche à terme sur une situation où le poids de l’Etat étouffe le système productif.

Avant 1992, les quatre pays en question - France, Italie, Grande-Bretagne et Suède - avaient tous choisi la même solution qui était d’avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne et donc d’avoir leurs politiques monétaires gérées par la Bundesbank. L’idée était simple et d’origine française (Giscard, à l’origine de quasiment toutes les mauvaises idées) : pour éviter que les politiciens ne fassent n’importe quoi, il était urgent de leur ôter le contrôle de la monnaie pour le confier à quelqu’un de sérieux, la Bundesbank. Ces quatre pays, au début de 1992, faisaient partie d’un machin technocratique qui s’appelait le système monétaire européen (SME), où le contrôle de chaque monnaie nationale était de fait exercé par la Bundesbank. Si quelqu’un dans un pays faisait des bêtises, la monnaie était attaquée et il fallait la dévaluer contre le DM, ce qui ne faisait pas vraiment sérieux et voulait dire qu’aux élections suivantes, en général, les gens pas sérieux étaient virés.

Mais en 1992, la Bundesbank décide que la réunification avec l’Allemagne de l’Est comporte un risque inflationniste pour l’Allemagne, et porte les taux courts réels à plus de 7 %, ce qui est proprement monstrueux. Nos quatre pays européens sont de ce fait littéralement étouffés par ce durcissement invraisemblable de la politique monétaire outre-Rhin et doivent prendre une décision difficile : dévaluer et rester à l’intérieur du SME, sortir du SME, ou rester à l’intérieur du SME en subissant une perte de compétitivité gigantesque créée par la hausse du DM dopé par des taux réels à 7 % .

Trois de nos pays - Italie, Grande-Bretagne et Suède - n’eurent même pas à prendre de décision et furent sortis du SME « manu militari » par les marchés, tandis que notre quatrième, la France, s’accrochait non sans mal à sa parité vis-à-vis du DM.

Vingt ans après, il est intéressant de voir comment l’économie de chacun de ces quatre pays a évolué…

Commençons par la Grande Bretagne et la Suède, qui au début eurent des destins communs.

Libérées du carcan du SME, la couronne suédoise et la livre britannique chutèrent très fortement pour se retrouver rapidement à un niveau sous-évalué. Pour profiter de ce niveau sous-évalué, les capitaux en provenance de l’extérieur affluent, les actifs financiers montent énormément (bull market) et les taux d’intérêts s’écroulent. En fait, la dévaluation permet un transfert de richesse massif des rentiers (fonctionnaires, livret d’épargne à court terme) vers les entrepreneurs, qui deviennent subitement concurrentiels. Les deux économies décollent tandis que dans les deux pays commencent des réformes pour continuer à réduire le poids de l’Etat dans l’économie, en Grande-Bretagne sous l’égide des conservateurs, et en Suède sous la direction des « modérés » puis des sociaux démocrates.

Changement de décor en mai 1997 en Grande-Bretagne : les travaillistes sont élus et s’engagent immédiatement dans une politique d’augmentation de la dépense publique qui fait remonter le poids de l’Etat dans l’économie britannique de moins de 35 % (contre plus de 50 % quand Mrs Thatcher était arrivée au pouvoir) à nouveau à plus de 50 % quand Mr Brown, l’architecte écossais du désastre actuel, est battu par Mr Cameron qui se retrouve de ce fait dans une situation impossible.

La Suède par contre continue de façon impavide à se réformer, que les socialistes soient au pouvoir ou pas, et sans renier en rien les principes de solidarité qui constituent l’âme de ce pays. Pour arriver à ce résultat, l’analyse faite fut très simple. Par exemple, il est du devoir de l’Etat de s’assurer que tous les enfants reçoivent une éducation gratuite et de qualité. L’Etat, par l’impôt, lève les sommes nécessaires. Sur ces deux premiers principes, tous les citoyens suédois sont d’accord. Par contre rien ne dit que la meilleure façon d’assurer une éducation de qualité serait que la dite éducation soit délivrée par des fonctionnaires, bien au contraire. Chaque famille reçoit donc un « bon pour éducation » qu’elle présente à l’école de son choix, et la liberté d’enseigner est donnée à tous les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans cette activité. Ces mêmes principes furent appliqués par exemple aux transports en commun, au domaine des retraites et à une partie importante de la santé. Pour faire simple, l’Etat sort du domaine de la production tout en conservant ses fonctions éminentes de définition des priorités, de contrôle et de financement.

Depuis ces réformes, l’économie suédoise n’a cessé de croître, les surplus extérieurs s’accumulent, la couronne suédoise est devenue l’une des monnaies les plus fortes du monde, le chômage est au plus bas, l’inflation est contenue, tandis que la bourse suédoise faisait trois fois mieux que la bourse de Paris par exemple.

Pendant la même période en Grande-Bretagne, M. Brown embauchait à tour de bras des fonctionnaires, profitant des taux d’intérêt bas que la politique de son prédécesseur autorisait, le poids de l’Etat dans l’économie ne cessait de monter, la dette, tant privée que publique, faisait de nouveaux plus hauts, jusqu’au point où nous sommes arrivés aujourd’hui et où la Grande-Bretagne ne s’en sort que parce que la banque centrale anglaise achète à tiroirs ouverts des obligations de ce pauvre Etat pour éviter que les taux ne montent… Un vrai désastre comme seuls les socialistes savent en organiser, et gageons que ce pauvre M. Cameron aura bien du mal à nettoyer ces écuries d’Augias. Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un Hercule du style de Mme Thatcher pour faire le sale boulot.

Passons à l’Italie, qui elle aussi dévalue fortement en 1992, voit son économie redémarrer, ses finances s’améliorer et décide, sous le leadership incroyablement incompétent de M. Prodi, d’utiliser cette période de rémission non pas pour effectuer les réformes de structure bien nécessaires, mais au contraire pour intégrer le plus vite possible cette sinistre farce que constitue l’euro et supprimer la lire. Pour mener à bien cette noble entreprise, le très suffisant M. Prodi augmente massivement les impôts en Italie, ce qui fait que depuis, l’économie italienne, étranglée par un taux de change qui avec le temps devient de plus en plus insoutenable et par une pression fiscale en augmentation constante, a cessé de croître et stagne ou baisse depuis 2000 et que l’Italie a remplacé la probabilité d’une récession par la certitude d’une faillite. Brillant !

Pour faire simple :

• La Suède a décidé d’utiliser la manne venant de la dévaluation pour sortir l’Etat de la production (où il n’a rien à faire) tout en conservant les fonctions de contrôle et de financement à l’Etat. Sur les vingt dernières années le succès de cette stratégie a été tout simplement prodigieux.
• La Grande-Bretagne a décidé qu’embaucher et créer des fonctionnaires était une très bonne idée si on voulait être réélu. Echec total.
• L’Italie quant à elle a décidé que les entrepreneurs gagnaient trop d’argent (à cause de la dévaluation) et qu’il était urgent de les imposer pour permettre à l’Italie de tenir sa place dans ce qui se révèle être le plus grand désastre monétaire de l’Histoire, l’euro.
Après tout, et comme chacun le sait, M. Prodi avait succédé à M. Delors après avoir été pendant toute sa vie fonctionnaire international ou professeur d’économie. On pouvait donc craindre le pire…qui n’a pas manqué de se réaliser. Echec total aussi.

Et la France me direz- vous ?

Eh bien la France, comme d’habitude, fut gouvernée par un fonctionnaire, et de la pire espèce, c’est-à-dire par un inspecteur des finances. Comme gouverneur de la Banque de France, pendant la période où les taux allemands étaient insensés, il décida simplement de maintenir les taux français à des niveaux encore plus exorbitants, ce qui fit qu’étranglés par des taux de change et des taux d’intérêts sans aucun rapport avec la rentabilité du capital en France, les entrepreneurs se mirent à faire faillite en masse, en particulier dans l’immobilier (qui se souvient de la faillite du Crédit Lyonnais, au conseil duquel M. Trichet siégeait ?), ce qui bien entendu déclencha une forte récession, de gigantesques déficits budgétaires et une explosion de la dette nationale.

Fort de cette brillante réussite, il fut nommé à la présidence de la BCE où, sous son magistère éclairé, des bulles immobilières gigantesques se développèrent tant en Espagne qu’en Irlande, tandis que les taux trop bas et les taux de change fixes permettaient à la France de s’autoriser quelques douceurs du style des 35 heures sans en payer le prix. Bref et depuis 1992, la France, grâce à M. Trichet et à l’euro, n’a fait que suivre une politique favorable au rentier (le fonctionnaire de nos jours) et défavorable a l’entrepreneur, ce qui est bien normal quand tous les systèmes - politique, monétaire et économique - sont sous le contrôle de fonctionnaires.

Bref, des quatre pays mentionnés plus haut, la France est sans aucun doute celui qui a le plus mal négocié les vingt dernières années. Comme de plus nous venons d’élire une majorité qui pour la première fois dans l’histoire de notre pays a constitué un gouvernement qui ne comporte aucun représentant du secteur privé, on peut légitimement craindre le pire pour le futur proche.

Sur la tombe de l’économie française, il conviendra donc d’inscrire : « Ci- gît l’économie française, sacrifiée par monsieur Trichet, comme l’armée française le fut par Gamelin en 1939. »

Mais ce qui est le plus irritant pour un observateur non engagé comme j’essaie de l’être, c’est de constater que la Suède a mis en place tous les instruments pour se sortir de la panade, et avec beaucoup de succès, et que personne n’en parle. C’est cette omerta sur les vraies solutions qui est la chose qui me surprend le plus. Il n’y a aucune malédiction nous condamnant au chômage ou à la faillite : il n’existe que des groupes de pression qui veulent protéger leurs prés-carrés à tout prix, quand bien même cela entraînerait la faillite du pays. C’est le phénomène, bien connu des spécialistes, que certains d’entre eux ont appelé « la préférence européenne pour le chômage ».

Voila qui est incompréhensible… sauf bien sûr si l’on est fonctionnaire en France.

Charles Gave


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