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19/2/15 Charles Gave
     

 Les assurés-vie sont en train de bouffer leur capital                        et personne ne le leur dit !

Quand j’étais enfant, l’histoire du polytechnicien qui arrachait les pattes d’une puce une à une et qui donnait l’ordre à la pauvre bête de sauter me faisait toujours rire. La puce sautait à chaque fois, sauf quand elle n’avait plus de pattes, et la conclusion imparable était qu’une fois toutes les pattes arrachées, la puce devenait sourde.

Nous en sommes là, en Europe en particulier.

Nous avons arraché toutes les pattes du système des prix au travers de manipulations grotesques et technocratiques des taux de change et des taux d’intérêts, la puce (le système des prix) n’a plus de pattes et les banquiers centraux considèrent que pour qu’elle saute, il faudrait lui mettre un ressort en dessous, avec des taux d’intérêts négatifs, ce qui est totalement idiot, même si c’est ce que leur suggèrent leurs modèles mathématiques dont chacun a pu constater les résultats époustouflants depuis une quinzaine d’années.

Car l’économie est une branche de la logique et non pas des mathématiques. Essayons donc de raisonner calmement sur cette idée complètement saugrenue de taux négatifs ou nuls.

Des taux négatifs impliquent que le futur est certain et que le passé est incertain, ce qui est d’une imbécillité foudroyante. Personne ne peut rien changer au passé : comme le disait les Grecs anciens : «Sur le passé, les Dieux eux-mêmes n’ont pas d’empire ». Et quant à dire que le futur est certain, on a vu les résultats de cette belle idée avec le socialisme scientifique. Les taux négatifs ne sont qu’un nouvel avatar de l’idée marxiste que le futur est connaissable.

En réalité, les taux d‘intérêts permettent l’introduction du temps et donc de l’incertitude dans le calcul économique. Car le futur est porteur d’incertitudes. Les taux d’intérêts sont censés nous protéger contre cette inconnue. Des secteurs entiers de l’économie ont été bâtis pour essayer de gérer cette incertitude, ce qui permet à l’économie de fonctionner tant bien que mal.

Essayons de comprendre comment des taux négatifs vont influencer les secteurs de l’économie dont l’existence ne se justifie que par cette incertitude liée au temps.

Commençons par le secteur bancaire.

Les banques reçoivent des dépôts dont je supposerai, pour la commodité de la démonstration, qu’ils peuvent, en théorie, être retirés à tout moment. Dans la pratique, sauf en cas de panique bancaire, ces dépôts sont assez stables. Le rôle des banques est de prêter cet argent «potentiellement instable» de façon «stable» en prenant un risque de «duration» (prêter de l’argent à cinq ans avec des dépôts au jour le jour), auquel s’ajoute bien sûr un risque de signature.

Ce double risque est couvert par le fait que l’argent à cinq ans sera plus cher que l’argent au jour le jour et qu’un débiteur risqué payera plus qu’un débiteur qui ne présente aucun risque. Une grande partie de ce double risque est couverte par le fait que l’argent emprunté par la banque (les dépôts) sera bien meilleur marché que l’argent qu’elle va prêter, ce qui couvre, au moins en partie, le risque que certains débiteurs ne payent pas.

Si les taux à cinq ans sont très supérieurs au taux à trois mois pour les obligations d’Etat, une forte partie de la rentabilité de la banque viendra de l’arbitrage entre le 3 mois et le cinq ans, et cette rentabilité permettra à cette même banque d’amortir tout ou partie des pertes qu’elle ne manquera pas de connaître sur la partie des prêts qu’elle aura consentis au secteur privé. Une courbe des taux pentue, comme chacun le sait, favorise les activités de prêts des banques.

Si par contre les taux à cinq ans pour l’emprunteur sans risque (l’Etat local) sont négatifs, la seule solution pour la banque sera de monter massivement les taux d’intérêts sur les emprunteurs à risque puisque la possibilité de subventionner les taux des prêts en jouant la différence entre le 3 mois et le 5 ans sur les prêts sans risque a disparu. Des taux négatifs pour les obligations d’Etat déclenchent donc une hausse des taux réels pour les emprunteurs du secteur privé, et amènent automatiquement à un ralentissement économique. Des taux négatifs brisent en fait la capacité des banques à effectuer leur travail d’intermédiation «temporelle» entre les déposants et les emprunteurs et ne peuvent qu’amener à une baisse des prêts et donc de la rentabilité de la banque, et de là, à un ralentissement durable de l’économie.

Le seul gagnant est l’Etat qui, lui, emprunte à un taux négatif, ce qui veut dire que l’épargnant au lieu de financer le secteur privé local subventionne la hausse des dépenses gouvernementales dont chacun sait depuis Keynes qu’elles sont porteuses de croissance, comme l’exemple de l’URSS l’a amplement démontré.

Venons-en maintenant à l’épargne longue telle qu’elle est déployée par les compagnies d’assurance ou les caisses de retraites.

Contrairement aux banques, dont une grosse partie de la rentabilité provient du levier qu’elles prennent (elles « empruntent » des dépôts qu’elles prêtent avec une forte marge), quand on parle des assurances ou des fonds de pension, on parle de gens qui dans l’ensemble investissent leurs fonds propres ou ceux de leurs clients soit pour indemniser les assurés en cas de catastrophe, soit pour verser des retraites.

Dans ce cas de figure, les intervenants ne pratiquent en général que peu d’effet de levier et investissent donc ce qui correspond à des fonds propres. Les « risques » pris sont en général à duration très longue. Si la banque centrale manipule les taux longs pour les amener à un niveau anormalement bas, le modèle économique de tout ce secteur se brise et la faillite de nombreux intervenants est à craindre.

Prenons l’exemple de l’assurance vie en France, investie massivement en obligations de l’Etat français.

Les taux sur le 10 ans sont à 0,6 %, ce qui ne couvre pas les frais de gestion des contrats.

Et pourtant les assurés vont recevoir 2 % cette année.

Comment est-ce possible ?

C’est tout simple.

Les obligations achetées il y a deux ou trois ans à 100 sont à 104 ou 105, et donc les assurés reçoivent leurs 2 %.

Mais il faut bien se rendre compte qu’il ne s’agit pas de rentabilité du capital, mais d’un remboursement du capital. Quand le stock d’obligations anciennes sera épuisé, les contrats d’assurance vie « rapporteront » une perte de 1 % au minimum chaque année. En fait, les assurés-vie sont en train de bouffer leur capital et personne ne le leur dit…

C’est exactement ce qui s’est passé au Japon ou deux assurances vie viennent de fermer. Et c’est tout à fait normal. L’épargne longue ne peut pas être rémunérée moins que l’épargne courte sans que le système économique n’implose. L’idée centrale du keynésianisme, au pouvoir dans toutes les banques centrales des pays développés, est qu’il faut procéder à l’euthanasie du rentier, puisque tous nos malheurs viennent de l’excès d’épargne dans le système. Forts de cette brillante idée, après avoir monopolisé l’épargne au profit des Etats, qui ne connaissent aucun problème quand il s’agit de dépenser à tort ou à travers, nos gouvernements veulent maintenant la détruire pour que les Etats n’aient pas à rembourser.

Voila qui me paraît inquiétant.

Dans les marchés financiers sont traités deux sortes de contrats juridiques :

- Des parts de propriétés, sur les actions ;

- Des reconnaissances de dettes, sur les obligations.

Le moins dangereux des deux, aussi paradoxal que cela paraisse, c’est bien entendu des parts de propriété dans des entreprises cotées dans des circonscriptions où le droit de propriété est encore reconnu. Les reconnaissances de dettes m’inquiètent, surtout en Europe et encore plus dans la zone euro.

Mais, je ne suis pas sourd.

Charles Gave

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