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1/3/12 Thierry Desjardins
Ecole : pour en finir avec « la fabrique du crétin » !

L’un promet d’embaucher 60.000 fonctionnaires de plus au ministère de l’Education nationale, l’autre (qui a réduit leur nombre) veut faire travailler davantage les enseignants et les augmenter, en reprenant, avec une belle dose de culot, son fameux slogan : « Travailler plus pour gagner plus ».

Même si, bien sûr, personne n’est dupe de ces promesses de campagne et de Gascon, on ne peut que se réjouir de voir le problème de l’Ecole brusquement au centre de la campagne présidentielle. Cela fait un demi-siècle que notre Ecole - qui fut l’une des plus brillantes du monde - est fatiguée, vieillie, malade, agonisante et se transforme inexorablement en usine à chômeurs.

Cela dit, dans leur surenchère démagogique, on peut se demander si les deux stars de notre course à l’Elysée ne pensent pas davantage au bon million d’électeurs que représente le corps enseignant plutôt qu’à l’avenir de nos enfants, c’est-à-dire du pays.

Tous les experts (sérieux) sont d’accord. Le problème de l’Ecole française n’est pas un problème de moyens. La France est l’un des pays qui dépensent le plus d’argent pour son Ecole et le ministère de l’Education nationale est l’un des plus gros employeurs de la planète, après… l’armée chinoise.

Le seul vrai problème de l’Ecole en France est que nous ne savons plus à quoi elle sert. Pour les uns, il s’agit de transmettre un minimum de « connaissances » aux enfants pour en faire des adultes (c’est la vieille école), pour les autres, il s’agit d’éveiller leurs « compétences » pour en faire des citoyens (c’est la nouvelle école).

Personne n’ose dire qu’il faudrait, évidemment, préparer les jeunes à entrer de plain-pied dans la vie active avec « une formation » leur permettant de trouver un emploi, et « une culture » leur permettant d’être heureux dans la société.

« L’Ecole n’est pas à la solde des patrons », affirment péremptoirement les syndicats d’enseignants à ceux, rares, qui osent rendre l’Ecole en partie responsable de notre taux de chômage et du déficit de notre balance du commerce extérieur. « Le travail de l’Ecole est d’enseigner, pas d’éduquer », rajoutent certains qui ignorent sans doute que c’est Léon Blum qui, en 1936, a transformé le ministère de « l’Enseignement » en ministère de « l’Education », après avoir constaté que la famille et l’Eglise avaient abandonné leur rôle éducatif.

En fait, ces querelles de chapelles qui s’entredéchirent rue de Grenelle depuis des décennies n’ont strictement aucun intérêt. Le drame français est que nous n’avons pas réussi ce que les experts appellent « la massification de l’Ecole ». En quelques décennies, le nombre des lycéens, des bacheliers et des étudiants a été multiplié par dix ou vingt. On pourrait s’en féliciter. Sauf que…, pendant le même temps, le nombre des emplois disponibles nécessitant une telle formation a à peine doublé. Notre école forme donc des bacheliers (à bas prix, en plus) qui vont se retrouver vendeurs dans des supermarchés et des Bac+3, 4, 5 (à la sauvette, en plus) qui finiront gratte-papiers dans une compagnie d’assurance.

Notre Ecole d’aujourd’hui continue à faire miroiter le rêve des parents français : avoir un enfant médecin, avocat, ingénieur ou professeur. Du coup, elle fait des ratés, des chômeurs forcément aigris.

Ce n’est pas aux enseignants qu’il faut demander ce que doit être l’Ecole, mais aux sociologues, aux économistes, aux entrepreneurs, à tous ceux qui peuvent imaginer ce que sera la France dans vingt ou trente ans et quels seront ses besoins en matière grise et en main d’œuvre. Une fois leurs prévisions établies - et on peut déjà facilement les supposer - il ne restera plus qu’à se débarrasser de tous nos faux débats qui ont pourri notre Ecole.

Oui, bien sûr, il faut donner à « l’enseignement technique et professionnel » la place essentielle qu’il mérite et ne plus en faire une voie de garage pour crétins. Oui, bien sûr, il faut réinstaurer « la sélection » à tous les niveaux car c’est une règle fondamentale de la vie. Oui, bien sûr, il faut imposer « des orientations » en fonction des capacités des élèves mais surtout en fonction des besoins du pays demain. Oui, bien sûr, il faut recréer un véritable « collège unique » car il faut que tous les jeunes aient un socle minimum de culture. Oui bien sûr, il faut qu’avant d’entrer au collège, les enfants maîtrisent « les fondamentaux », sachent lire, écrire, compter. Oui, bien sûr, il faut valoriser « l’excellence » avec nos grandes écoles. Oui, bien sûr, l’université n’est pas un moulin dans lequel n’importe qui peut entrer sous prétexte qu’il a déniché un bac dans une pochette surprise, etc.

Tous ces impératifs sont devenus tabous et plutôt que d’ouvrir une véritable réflexion sur ce que devrait être l’Ecole du XXIème siècle, nos candidats préfèrent céder devant les syndicats qui sont, en très grande partie, responsables de la déliquescence de notre Ecole. Il y en a un qui promet des embauches, l’autre qui promet des augmentations de salaires. Et les gosses qu’est-ce qu’on en fait ? Toujours des chômeurs illettrés ?

En fait, mais c’est vrai aussi pour tous les autres grands sujets, ce qui manque le plus dans cette campagne, c’est « une vision ». Quelle France voulons-nous demain ? Une France « forte », mais pour quoi faire ? « Le changement », mais pour quoi faire ? Le dossier de l’Ecole était une superbe occasion pour nous décrire la France qu’ils imaginent l’un et l’autre.

En ne nous parlant que d’embauches ou d’augmentations, ils nous ont prouvé qu’ils manquaient cruellement d’imagination, pour ne pas dire d’ambition.

Thierry Desjardins


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