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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner


 

Chapitre 5

Les caisses sont vides

Ce qui aurait dû alerter l’ensemble des observateurs politiques, c’est la « commissionnite » aigue dont souffre Sarkozy. Son rythme présidentiel est fait d’affirmations péremptoires et de renvois en commission. En fait, rien n’avance. Sur les institutions, il nomme une commission Balladur, et pour supprimer les freins à la croissance, une commission Attali. Personne ne s’avise qu’il s’agit, de la part du président, d’une incroyable pusillanimité, alors même que tout le monde connaît l’adage fameux selon lequel « quand on veut enterrer un problème, on nomme une commission ». En réalité, Sarkozy ne cherche pas à enterrer les problèmes, mais il n’a pas la moindre idée de la façon de les résoudre. Et même s’il lui arrive d’avoir des idées, il ne se sent pas assez sûr de lui pour les mettre en œuvre. Il lui faut donc s’entourer du plus de conseils possibles, le but de la manœuvre étant de faire assumer par un vaste aréopage des mesures qui ne font pas consensus. Sarkozy, en fait, a peur de s’avancer, et dès qu’une difficulté surgit, il recule. Ceux qui ont attentivement suivi sa carrière depuis longtemps, savent que c’est chez lui un comportement constant. L’homme est profondément hésitant derrière ses airs bravaches, et son goût de la provocation n’est qu’un signe de faiblesse. Peut-être une bonne psychanalyse eût-elle pu l’aider à mieux assumer ses contradictions et le remettre sur les rails, mais maintenant il est trop tard. Il est président et doit exercer la fonction qu’il a tant convoitée. Et c’est son incompétence qui le pousse à la procrastination, cette tendance à tout remettre au lendemain dont souffrent les indécis, alors même que sa nature le fait piaffer en permanence comme un jeune cheval encore vierge de tout dressage. Remettre au lendemain, pour Sarkozy, c’est confier les problèmes à des commissions.

Les Français sont bien informés des graves problèmes qui se posent à leur pays. On ne compte plus les rapports qui ont mis en évidence les déficits, la dette, les dysfonctionnements de l’Etat, le poids paralysant de la réglementation, le nombre excessif de fonctionnaires, l’âge trop précoce de la retraite dans une société où la longévité augmente rapidement et depuis longtemps, l’insuffisance du nombre d’heures travaillées, l’assistanat généralisé, bref tout le monde sait ce qui va mal et pourquoi. Et au fond, Sarkozy s’est campé, pendant sa campagne électorale et au cours des années qui l’ont précédée, comme celui qui, d’un glaive ferme et sûr, allait trancher cet enchevêtrement de nœuds gordiens. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il y a là une formidable erreur de casting. Sarkozy se voit sans aucun doute en gladiateur intrépide, mais il est tout sauf cela. Enfant, il voulait surtout être bien avec sa maîtresse et se pressait contre elle autant qu’il le pouvait. Jeune adulte, il n’a cessé de rechercher la compagnie des riches et des puissants, témoignant ainsi de son profond sentiment d’insécurité. Et c’est ainsi qu’il a fini par se constituer un entourage qui, pour un président de la République, est le moins recommandé qui soit.

Le peuple n’aime pas que les riches soient trop proches du pouvoir. Justement parce qu’ils sont riches, et donc bien assez puissants comme cela. Mieux vaut, pour l’homme d’Etat, les tenir en lisière. Pour parler vulgairement, ils marquent mal. Cela dit, il y a riches et riches, ou plus précisément il y a les discrets et les voyants. Sarkozy n’aime que les voyants, mais pas spécialement parce que leur exposition lui plaît : la raison de sa dilection tient aux secteurs d’activité ou aux centres d’intérêt de ces personnalités. Et comme par hasard, elles exercent pour la plupart leur talent et leur pouvoir dans le monde des médias et se comportent en outre comme des prescripteurs d’opinion. L’ascension de Nicolas Sarkozy doit beaucoup à son habileté à capter l’intérêt des puissants du monde médiatique, lesquels ne dédaignent pas de s’assurer des dévouements et des fidélités politiques qui peuvent toujours servir. Sarkozy et Lagardère, ou Bouygues, ou Arnault, ce n’est pas Montaigne et La Boétie, mais des liaisons intéressées ou l’on feint d’éprouver des sentiments profonds qu’on n’hésite jamais à manifester en public, tant il est nécessaire, pour qu’une comédie plaise, que les acteurs n’hésitent pas à jouer gros, afin d’être entendus jusqu’au dernier strapontin du troisième balcon.

Seulement voilà : la règle, quand on arrive au pouvoir suprême, c’est de faire mine de repousser ce genre d’amis. Et même tous les amis. Pour être élu, un candidat doit être soutenu, porté par de puissants réseaux d’amitié. Un président, lui, ne peut avoir d’amis. Ou en tout cas il doit faire semblant de ne pas en avoir. Cette règle non écrite mais toujours respectée de la politique française, Sarkozy l’ignore. Là encore, ses thuriféraires nous expliquent que cette règle, il s’en moque, et que c’est aussi cela la rupture. Mais ils se trompent. Sarkozy ne piétine pas cette règle, il ne sait pas qu’elle existe, et ce niveau d’ignorance fait partie intégrante du faisceau de ses incompétences, dont le pays commence à deviner l’ampleur.

Le principe « Un évènement médiatique par jour » va entraîner le nouveau président dans une ronde insensée où il va finir par perdre la tête. « Il court, il court, le furet, il est passé par ici, il repassera par là. » La comptine s’applique à merveille au nouvel élu. Qu’un bateau de pêche coule, qu’une usine ferme, qu’un car ait un accident, qu’un gamin subisse une remarque à caractère raciste d’un enseignant, le président se rend aussitôt sur place, reçoit, exprime sa sympathie, console, promet des mesures et des sanctions, annonce des aides, profère de sévères menaces contre tous ceux qui troublent la paix civile ou manquent à leurs devoirs. L’événement fait la une des quotidiens et l’ouverture des journaux télévisés du soir, et le lendemain, on passe à autre chose. Avec de nouveaux acteurs, mais toujours la même vedette. « Show must go on », disent les Américains. Mais dans leur idée, cela signifie que la représentation doit continuer même quand un drame affecte un des acteurs, et non qu’il faille monter des spectacles partout, tout le temps et n’importe comment. Sarkozy, qui aime tant les Etats-Unis – et ce n’est pas un péché – aurait bien fait de s’inspirer du sérieux et du respect du public que l’entertainment a depuis toujours pris pour règle, ce qui n’a pas peu contribué à faire de l’industrie américaine du spectacle la première du monde et la plus prisée des spectateurs de toute la planète.

La « commissionnite » de Sarkozy et sa façon de confier des missions sur tel ou tel problème à des personnalités extérieures à la politique ont fini par inquiéter les Français. D’autant que le premier ministre, Français Fillon, leur a révélé que l’Etat est en faillite. « Si vraiment on en est là, se disent-ils, il ne s’agit pas de s’agiter en permanence, de sauter d’une idée à l’autre, de recueillir avis sur avis, mais au contraire d’annoncer la couleur et de prendre le taureau par les cornes. » Or ce n’est pas du tout ce que fait le président de la République. En outre, il interdit qu’on parle de rigueur, la jugeant contraire à ses engagements électoraux. C’est à peu près aussi réaliste que de refuser, quand il pleut, de se munir d’un parapluie au motif que la météo avait prédit du beau temps. Et tandis que la France se retrouve en 2007 avec 40 milliards d’euros de déficit budgétaire, 10 milliards d’euros de trou de la Sécurité sociale et 1218 milliards d’euros - au bas mot – de dette publique, les ministres du président affirment avec aplomb qu’il n’y aura pas de hausse de la TVA ni de la CSG. Etrange, se disent les Français, Sarkozy va présider l’Union européenne au deuxième semestre de 2008, il sera donc dans une situation impossible si nous n’avons même pas entrepris de mettre de l’ordre dans nos comptes, alors que tous nos partenaires de la zone euro l’ont fait et sont à l’équilibre (à l’exception de l’Italie, qui au moins fait de sérieux efforts pour y arriver).

Mais cela n’a pas l’air d’émouvoir le président. Pour la première fois, les Français ont le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. Est-il grisé par le pouvoir ? Ses soucis sentimentaux ont-ils altéré sa lucidité ? Personne en vérité n’en sait rien, ni chez les Français, ni même chez les journalistes qui suivent la politique au jour le jour. Or la réponse est si simple que personne ne l’aperçoit : Sarkozy est tout simplement incompétent. Et c’est ce qui donne cet air décalé à son action. On est vraiment en présence d’un capitaine au long cours sans brevet qui, sur sa passerelle, saute d’un siège à l’autre, sort à tout propos pour prendre un bain de soleil et ne revient que pour donner des ordres contradictoires et aberrants. L’équipage commence à se demander ce qu’il va falloir faire si un tel comportement met le navire en péril. En attendant, il se concentre sur ses tâches, mais on sent bien que le cœur n’y est pas. Quant aux passagers, hormis ceux qui ont décidé une fois pour toutes de faire confiance au commandant et qui dansent et festoient à ses dîners sans se poser la moindre question, ils se regardent les uns les autres d’un drôle d’air, s’interrogeant du regard et marmonnant des phrases qu’on entend mal mais où l’on croit reconnaître les mots de « déception » et d’ « inquiétude ».

C’est le 8 janvier 2008 que la crise éclate. Ce jour-là, Sarkozy tient une conférence de presse. Il l’a décidée sans aucune nécessité, n’ayant rien à annoncer sauf qu’entre Carla et lui, « c’est du sérieux ». A la recherche d’une idée à jeter en l’air, il se laisse persuader par Alain Minc d’annoncer la suppression de la publicité sur les chaînes de la télévision publique. On s’aperçoit vite que le président a lancé son propos comme un gros caillou dans l’eau. Cela fait des tas de remous et d’ondes de choc, mais le caillou, comme il se doit, s’est enfoncé dans la vase et personne, à commencer par Sarkozy, ne sait s’il faut aller le repêcher afin de recommencer l’opération jusqu’au succès final ou l’abandonner à son triste sort. Après quelques semaines passées à patauger, on nommera … une commission.

Mais le véritable événement de la conférence de presse n’était pas cette annonce. Ce furent quelques phrases du président qui résonnèrent comme un glas dans l’atmosphère de plus en plus lourde de son quinquennat à peine commencé : « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? Que je donne des ordres à des entreprises à qui je n’ai pas d’ordres à donner ? Vous croyez que le seul boulot d’un président, c’est d’augmenter le smic ? » En quelques secondes, tout a basculé. Sarkozy s’avoue impuissant à tenir sa promesse d’être « le président du pouvoir d’achat ». Pire : il jette négligemment au rebut son principal engagement électoral, comme s’il ne s’agissait que d’une parole en l’air que personne ne lui en voudrait d’abandonner. Soudain, les Français comprennent que Sarkozy s’est moqué d’eux, qu’il a multiplié les promesses sans avoir la moindre intention de les honorer, et que toute cette campagne effrénée pour arriver à l’Elysée n’était que poudre aux yeux, insincérité, cynisme, légèreté. Il n’est certes pas le premier à se conduire ainsi, mais les autres y mettaient les formes. Lui, il s’assoit sur la tête de ceux qui ont cru en lui et en ses paroles. A l’incompétence, il ajoute le mépris, et cela commence à faire beaucoup.

Mais tout cela ne serait pas si grave si les Français n’étaient désespérément à la recherche, depuis de longues années, de la solution au principal problème du pays, son atonie économique, dont les conséquences se déclinent en termes de chômage, de difficultés à joindre les deux bouts, de déficits et d’endettement publics. Jospin s’était ramassé à la présidentielle de 2002 pour des raisons assez semblables à l’aveu d’impuissance de Sarkozy lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2008. Ce qui l’avait perdu, c’était son constat désabusé, fait le 16 septembre 1999 à la télévision, face aux suppressions d’emplois : « Je ne crois pas qu’il faut tout attendre de l’Etat ou du gouvernement. » Si un dirigeant socialiste, Premier ministre de surcroît, partisan par nature et par construction de l’intervention de l’Etat, en vient à reconnaître l’inanité d’une telle solution, c’est qu’il y a quelque chose de brisé au royaume de la gauche. Et les électeurs ne se sont pas privés de le sanctionner d’un score misérable et éliminatoire au premier tour de la présidentielle de 2002.

A l’occasion de ces deux aveux, celui de Jospin et celui de Sarkozy, on touche du doigt l’un des problèmes majeurs de la démocratie et de l’art de gouverner. Au fond, ces deux hommes n’ont fait que dire la vérité : les caisses sont vides pour l’un, l’Etat est impuissant à empêcher les suppressions d’emplois pour l’autre. La sanction populaire de ces propos concernerait-t-elle donc deux leaders politiques épris de parler vrai et de respect du peuple ? S’il en était ainsi, il ne resterait plus qu’à dissoudre le peuple ! Mais fort heureusement pour ce dernier, il n’en est rien. Tout d’abord Sarkozy et Jospin sont arrivés au pouvoir en brandissant des promesses volontaristes. La gauche de Jospin allait vaincre, grâce à l’intervention de l’Etat, la crise économique provoquée par l’incurie de la droite. La droite de Sarkozy allait libérer la France des contraintes étatiques qui étouffent sa capacité de croissance économique. Dix ans plus tard, les choses vont beaucoup plus mal, puisque ni Jospin, ni Sarkozy - même si celui-ci n’en est qu’à ses débuts, mais il règne comme un parfum d’échec autour de sa politique - ne sont parvenus à enrayer la spirale mortelle qui a happé notre pays et le tient prisonnier dans ses remous. Alors ce que le peuple reproche à ces hommes, c’est moins d’avoir fait de belles promesses que de s’être montrés incapables de mettre en œuvre des solutions crédibles.

Le peuple est très fin observateur. Il sait interpréter et comprendre le moindre frémissement d’une politique, la moindre lueur à l’horizon. La patience ne lui est pas étrangère : elle est une composante de son immémoriale expérience. Mais le peuple est également lucide : quand quelque chose ne marche pas, et qu’en plus l’homme qui, au sommet de l’Etat, conduit la manœuvre donne l’impression de ne plus savoir où il habite, de s’être complètement trompé de route et qu’il l’avoue piteusement, alors l’indulgence mêlée de crainte qu’il éprouve toujours pour les puissants se mue en mépris et en fureur, et les pouces se tournent vers le bas. Vae victis ! Pour Jospin, c’est fait. Pour Sarkozy, c’est en cours, mais l’issue ne fait aucun doute. Et c’est d’incompétence que l’un et l’autre seront morts !




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