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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner


 

Chapitre 3

Une flaque qui mouille

Cela commence par la nuit du Fouquet’s. Drôle d’endroit pour le président d’un parti dénommé « Union pour une majorité populaire ». Populaire, le Fouquet’s ? Oui, si l’on croit que le mot anglais people veut toujours dire « le peuple ». Mais il signifie aussi « les gens », et une certaine presse n’entend l’expression qu’au sens de « gens en vue ». Cette presse people - « pipole », dans sa ridicule adaptation française – fleurit sur fond de réceptions, de fêtes, de vacances exotiques dans lesquelles se meut une petite cohorte de privilégiés, de parvenus, de vraies stars et d’étoiles mortes qui ont le don d’intéresser suffisamment de monde en France pour que les journaux qui leur sont consacrés se portent bien, et même beaucoup mieux que leurs confrères généralistes. La fête du Fouquet’s appartient entièrement à ce genre. A ceci près que ce n’est pas la presse people qui en fait ses choux gras, mais l’ensemble des médias, au premier rang desquels la presse politique. Est-ce le rôle de celle-ci ? Le débat fait rage chez les journalistes. « Où finit la vie politique, où commence la vie privée ? », s’interrogent-ils. Drôle de question. Quand un homme politique comme Nicolas Sarkozy a fait, depuis des années, de l’étalage de sa vie privée un argument de vente de sa candidature à la présidence de la République, elle est automatiquement devenue un élément de la vie politique.

Contrairement à ce que s’imaginent beaucoup de gens mal informés, la traque des célébrités par les paparazzis et autres chasseurs d’indiscrétions se fait toujours avec le consentement des personnes pourchassées. Certes il y a des moments où elles préfèreraient qu’on les laisse tranquilles, mais elles ne voudraient pour rien au monde cesser de figurer en bonne place et bon rang dans la presse people. Alors, sitôt que l’intérêt de celle-ci semble faiblir, les « pipoles » se débrouillent pour informer les médias de telle ou telle escapade projetée, d’un amour naissant, d’une rupture douloureuse, et ils s’empressent de poser pour les journaux moyennant finances, lesquels journaux y trouvent évidemment intérêt puisque leur tirage s’en ressent favorablement. Au fond, il ne s’agit que d’une version un peu modernisée du bon vieux jeu de la barbichette : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui rira aura une tapette. » Difficile en effet, pour les participants au jeu, de ne pas rire, tant tout cela est bidon et controuvé, et tant personne - journalistes et « pipoles » confondus – n’est dupe de ces mondanités ridicules. Mais enfin il y a des gens qui aiment cela, et ils sont même assez nombreux pour qu’un politicien comme Sarkozy, tout à sa recherche de la plus vaste addition possible de suffrages, consacre beaucoup d’efforts et une attention soutenue à la constitution et à la diffusion de son image médiatique.

C’est le soir de son élection que tout bascule. Sarkozy n’a tout simplement pas compris qu’il est devenu président de la République et qu’il n’est plus, aux yeux des Français et du monde, le même homme. En fait, l’élu à la charge suprême ne s’appartient plus. Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit est désormais apprécié à l’aune du personnage qu’il est devenu et non plus à celle de l’homme privé qu’il a le droit de continuer à être, mais seulement dans un cadre intime. La fête du Fouquet’s n’est donc pas une banale réception d’amis et d’obligés, comme il s’en déroule des milliers dans la vie des affaires, des associations et des particuliers, mais le premier acte public de la présidence Sarkozy. Et ce premier acte est une véritable catastrophe pour son image. N’oublions pas que dix-neuf millions de Français viennent de voter, le jour même, pour lui, et que l’immense majorité d’entre eux appartient aux classes moyenne et populaire. Or voilà que leur élu s’empresse de leur administrer une gifle monumentale en allant parader devant l’argent et le show-business réunis en plein cœur des Champs-Élysées, « l’avenue la plus chère du monde », comme les journaux ne cessent de le répéter.

Le plus étonnant est que Sarkozy ne se soit à aucun moment interrogé sur le bien fondé de cette réception. Etonnant et inquiétant ! Car enfin, tous ses prédécesseurs veillaient avec un soin jaloux à l’image qu’ils offraient au pays. Pour rien au monde ils n’auraient accepté de se montrer dans des lieux associés à l’idée de richesse et de luxe, ni au milieu de personnalités dont la seule présence pouvait jeter une ombre sur leur réputation. Sarkozy, lui, s’en fiche. Curieux. Certains de ses thuriféraires expliquent qu’il s’agit là d’une bien nécessaire modernisation de la vie publique, que le nouveau président est ce qu’il est et n’a pas l’intention de changer, et qu’après tout l’hypocrisie de certaines conduites, lors des règnes précédents, n’autorise personne à lui donner de leçons. Oui, à ceci près que l’hypocrisie, en politique, porte un autre nom : la distance. « Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre », tout le monde le sait, même s’il n’y a plus beaucoup de valets de chambre. De même, il n’y a pas de pouvoir sans secret. C’est de la distance et du secret que naissent la crainte et le respect. Un pouvoir trop proche de tout un chacun court grand risque d’être rapidement détruit, sauf si ses vertus sont si grandes et si évidentes qu’elles annihilent toute forme de contestation. Autant dire que seul un saint - et encore, car on n’est que rarement saint pour tout le monde – pourrait se passer, dans l’exercice du pouvoir, de cette distance et de ce secret.

Inutile de préciser que Sarkozy n’est pas un saint, même si ses goûts, pour clinquants et de mauvais aloi qu’ils puissent paraître, sont finalement assez innocents. Après tout, aimer les belles montres, les lunettes de soleil Ray Ban et la fréquentation des milliardaires ne compose pas le portrait d’un être fondamentalement vicieux. Oui, mais voilà : un homme politique doit afficher son goût du peuple et non des « pipoles ». Que Sarkozy ne l’ait pas compris est proprement stupéfiant. Ce garçon n’avait manifestement pas réfléchi à ce que signifie être président de la République. Il voulait le devenir, c’est tout. A ce stade, c’est à la fois de l’inconscience et de l’incompétence.

Le candidat Sarkozy avait annoncé que, s’il était élu, il ferait une retraite de quelques jours afin de se pénétrer de la fonction qu’il devrait exercer. Il n’avait pas précisé le monastère de son choix, mais nul n’avait compris que ce lieu de méditation serait le yacht du milliardaire Vincent Bolloré. Deuxième claque assénée aux électeurs des classes moyenne et populaire. Et de nouveau le chœur des soutiens de se déchaîner : « Comment cela, un président a le droit a un peu de repos, après tout il est bien libre de mener sa vie privée comme il l’entend, et les autres, les Giscard, les Mitterrand, les Chirac, ils n’avaient pas de goûts de luxe ? Ils ne les montraient pas, c’est tout. Sarko, lui, a la franchise de ses penchants et de son comportement, et cela va faire progresser la démocratie et la vie républicaine ! » Ben voyons ! Pourquoi cela ne ferait-il pas progresser aussi la recherche sur le cancer ou la lutte contre le réchauffement climatique ? « N’importe quoi ! » comme diraient les ados, qui finalement ont plus souvent raison qu’on ne le croit. Deuxième grave erreur, donc. Et erreur majeure, elle aussi, car elle affecte l’image du nouvel élu, autrement dit l’idée que les gens s’en font et qui risque de ne plus les quitter de longtemps, tant les premières impressions sont fortes et tant il faut s’en méfier car, selon le mot fameux, ce sont les bonnes. Comment ne pas mettre au compte de l’incompétence ce second faux pas ? Un président de la République nouvellement élu n’est jamais un nouveau né en politique et Sarkozy encore moins qu’un autre, lui qui n’a jamais cessé d’avoir en ligne de mire le sommet du pouvoir et son détenteur durant les trente années de son ascension. Or voilà qu’il y atterrit comme un cheveu sur la soupe. Mauvais goût, mauvaise éducation certes, mais surtout incroyable légèreté, invraisemblable irréflexion. Tout le contraire des qualités qu’on attend d’un homme d’Etat.

Dès ce moment, la messe est dite, si l’on ose l’expression s’agissant du grand maître de la vie spirituelle que va se révéler être Nicolas Sarkozy quelques mois plus tard quand, chanoine honoraire de Latran, il s’emploiera à classer par ordre d’importance le curé et l’instituteur et à réserver aux seuls détenteurs d’une foi religieuse la vertu d’espérance. En attendant, cela commence on ne peut plus mal. D’autant que revenu de son périple en mer Egée, il cède à l’invitation de Jacques Chirac, encore président pour quelques jours, et s’en va inaugurer avec lui, au jardin du Luxembourg à Paris, une stèle commémorant l’esclavage. Pas gêné, Sarkozy est tout joyeux à côté de celui qu’il vient de détrôner mais qui préside avec autorité la cérémonie, aidé de sa haute taille et de ses décennies d’expérience, et auprès duquel Sarkozy fait vraiment tout petit. Mais là n’est pas le problème. Au cours de sa campagne, Sarkozy a stigmatisé à maintes reprises la repentance, pour la plus grande satisfaction du peuple de droite qui n’en peut plus de se voir insulté en permanence par les grandes consciences pour les turpitudes d’un colonialisme dont les plus grands apôtres – faut-il le rappeler ? – étaient pourtant des hommes de gauche, comme Jules Ferry, qui ne désiraient rien tant que d’apporter les vertus de la civilisation aux « races inférieures », comme ils le disaient eux-mêmes. Alors aller s’afficher, à peine élu et même pas encore installé, à une cérémonie de repentance aux côtés du grand maître de la discipline, Jacques Chirac, il fallait vraiment le faire ! Eh bien, il l’a fait, Sarko ! Quel type, quand même ! Pour une connerie, c’est une belle connerie. De quoi foutre en l’air des années d’effort. Car enfin, se dédire aussi rapidement d’un engagement majeur de sa campagne est totalement inimaginable pour n’importe quel politicien normalement constitué. Et voilà que lui, Sarkozy, élu président il y a quelques jours, saute allègrement dans la première flaque d’eau venue, qui va le laisser humide pendant tout son mandat ! Qu’est-ce, sinon de l’incompétence ?

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