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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner


 

Chapitre 11

                                           Le trône fissuré


Comme tout président fraîchement élu, Nicolas Sarkozy a voulu prendre les choses en main. Et comme pour tout président incompétent, cela a mal tourné. Dans le cas de Sarkozy, c’est allé plus vite que dans celui de ses prédécesseurs parce qu’il a fait preuve de plus d’activité qu’eux, mais au fond il n’y a pas grande différence entre leurs parcours initiaux. En 1983, deux ans après son élection, Mitterrand avait déjà réussi à perturber gravement l’économie et la monnaie. En 1997, au moment où il décidait sa fameuse dissolution, Chirac, élu également depuis deux ans, avait perdu presque tout son crédit en raison du « tournant de la rigueur » d’octobre 1995 et des grèves dans les transports à l’automne de la même année.

Au printemps de 2008, moins d’un an après son accession à la présidence de la République, Sarkozy est au plus bas dans les sondages et les élections municipales du mois de mars ont, comme il est logique, sanctionné les premiers mois de son règne. Nicolas Sarkozy est désormais à la croisée des chemins. Ou bien il continue à vouloir diriger la France, ou bien il laisse faire son gouvernement et s’adonne aux joies bonhommes des inaugurations et des fêtes folkloriques. Bien entendu, un objectif consensuel peut parfaitement être en outre affiché. Etant donné le goût du président pour le vélo, il pourrait par exemple s’attacher à la moralisation du Tour de France, qui en a bien besoin après tant de scandales de dopage. Ayant connu deux divorces et ayant des enfants de plusieurs lits, il pourrait aussi se consacrer au statut juridique des familles recomposées. Mais il ne s’agit là que de suggestions, et le champ des activités faciles et sans risque est si vaste que le président Sarkozy n’aura que l’embarras du choix s’il s’engage dans cette voie.

Cette technique, décrite par le professeur Peter comme celle « de la substitution » est évidemment la plus recommandée à tous égards. Eloigné de toute prise directe sur les événements, le président ne peut faire de grosses bêtises. A défaut d’être bien gouverné, le pays échappe, de ce fait, aux pires catastrophes. Quant au président lui-même, il ne peut que bien se trouver d’un tel choix. « La substitution, écrit le professeur Peter, est de loin la technique d’ajustement au dernier poste la plus satisfaisante. La réussite d’une substitution efficace préviendra généralement l’apparition du syndrome du dernier poste et permettra à l’employé [ici : au président] de terminer sa carrière en paix, parfaitement heureux et en parfaite santé, à son niveau d’incompétence. »

Tout, dans le comportement de Nicolas Sarkozy depuis son élection à la présidence de la République, donne à penser qu’il choisira la première voie. Son accession au poste suprême a si bien satisfait son ego qu’il ne peut que mal vivre la moindre diminutio capitis. Adopter la technique de la substitution serait pour lui un terrible constat d’échec. Il en perdrait le goût de vivre et peut-être finirait-il par penser au suicide. De telle sorte qu’on se demande si, pour lui, l’affrontement aux difficultés de sa charge n’est pas moins risqué. Il ne faut toutefois pas se dissimuler que, dans cette hypothèse, les risques de santé sont fort élevés. Tout le monde peut constater que le président n’est pas en grande forme. Il est sujet à de fréquentes angines, qui viennent s’ajouter à un état migraineux antérieur à sa prise de fonction, il est bourré de tics nerveux et affiche le plus souvent une mine de papier mâché. Sans parler de son énervement permanent qui le conduit à des sorties aussi peu gratifiantes pour sa réputation que celle du salon de l’agriculture où il a lancé à un contestataire fort malpoli le fameux « Casse-toi, pauvre con » qui a fait en quelques heures le tour de la planète.

Si bien que, médicalement parlant, le président Sarkozy n’a le choix qu’entre Charybde et Scylla, les menaces pesant sur son équilibre mental et sa santé étant presque identiques dans les deux cas. Mais dans la stratégie de l’affrontement aux difficultés, il y a un élément de risque politique beaucoup plus redoutable que dans celle de la substitution. L’agitation permanente du président a conduit certains médias, auxquels nombre de citoyens de base ont emboîté le pas, à lancer l’idée qu’il serait fou. L’hebdomadaire Marianne l’a écrit sans plus de précautions et le caricaturiste du Monde, Plantu, dessine Nicolas Sarkozy avec un entonnoir renversé sur la tête.

Le seul prédécesseur connu dans la détention d’un tel couvre-chef est Michel Debré, qui en avait été affublé, du temps qu’il était Premier ministre, par Le Canard enchaîné. Le journal satirique ne visait pas vraiment la santé mentale de Debré, mais plutôt son exaltation permanente. En réalité, Michel Debré, même s’il bénéficiait - et souffrait parfois - d’un tempérament passionné, était un véritable homme d’Etat, mais il vivait une terrible contradiction qui était sans doute à l’origine de ses excès. Partisan engagé et militant de l’Algérie française, mais aussi dévoué au-delà de toute réserve au général de Gaulle, il dirigeait un gouvernement qui, sur les instructions du chef de l’Etat, préparait l’abandon de l’Algérie et son accession à l’indépendance. S’étant sacrifié sur l’autel du gaullisme, Michel Debré fut remplacé par Georges Pompidou mais ne tomba pas malade, pas plus qu’il ne quitta la politique active, signe qu’il n’avait pas souffert du syndrome du dernier poste mais d’une situation trop contradictoire.

Tel n’est pas le cas de Nicolas Sarkozy. Si contradiction il y a, elle est toute entière entre sa fonction et ses capacités. Rien ne l’empêchait de mettre en œuvre la politique qu’il avait fait approuver largement par le pays à l’élection présidentielle. Sauf son incapacité à la concevoir. L’éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol, cite ce propos de Jose Maria Aznar, l’ancien président du gouvernement espagnol : « En deux mois, j’avais bouclé le plus gros paquet de mesures de libéralisation de l’économie de l’histoire espagnole. ». Tandis que l’éditorialiste du Monde, Patrick Jarreau, porte sur le président ce jugement : « En lieu et place de réformes, il a bousculé l’échiquier. Toutes les pièces semblent en bataille les unes contre les autres, autour d’un roi que son camp ne protège plus. ». Nicolas Sarkozy est si profondément atteint par les effets du syndrome du dernier poste qu’il a perdu confiance en lui-même. Prenant la parole le 8 mars 2008 lors d’un déjeuner offert à l’occasion de la Journée internationale des femmes, il a prôné fermement le respect de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, précisant avoir « dit aux partenaires sociaux qu’on leur donnait jusqu’en 2009 pour trouver une solution ». C’est alors qu’il a prononcé une phrase qu’aucun des ses prédécesseurs n’avait jamais eu l’idée de prononcer, pas plus qu’ils n’en avaient vu la nécessité : « Il faut bien prendre au sérieux ce que j’ai dit. » Quand un président en est à cimenter fébrilement le socle sur lequel repose son trône, c’est que son assise est menacée à brève échéance.

Pendant toute la période des élections municipales de mars 2008, Nicolas Sarkozy a sans cesse hésité sur la conduite qu’il devait tenir. Avant sa chute brutale dans les sondages, il avait annoncé qu’il s’investirait dans ces élections parce qu’au-delà de leur enjeu local, elles constitueraient un indicateur national, puis il battit en retraite sous la pression des candidats de son camp, peu désireux d’affronter les électeurs en affichant le soutien d’un président décrié et fortement décrédibilisé. Mais il ne put s’empêcher de donner, trois jours avant le premier tour, une longue interview au Figaro, puis entre les deux tours, de participer, à Toulon, à une cérémonie de naturalisation de nouveaux Français où il tenta de rameuter la partie la plus à droite de son électorat du mois de mai 2007 en martelant que « la France ne peut pas accueillir tout le monde ». De même, alors que l’étalage complaisant de sa vie privée était jugé inacceptable par une très large partie de ses électeurs, il laissa l’hebdomadaire Paris Match publier, le jeudi précédant le second tour un reportage photographique de huit pages sur la vie à l’Elysée de sa nouvelle épouse, Carla Bruni. Une attitude aussi incohérente ne peut être le fait que d’un président déstabilisé. Et si le président est déstabilisé, c’est parce que rien ne marche dans l’Etat depuis qu’il est à sa tête.

Il est curieux, mais pas surprenant, de constater qu’il apparaît comme absent dans son interview du 6 mars 2008 au Figaro, quand il lâche, presque négligemment : « Chacun doit comprendre qu’il n’y a pas d’alternative en France à la réduction des dépenses publiques », après avoir indiqué, juste auparavant, qu’il n’avait pas procédé au non remplacement d’autant de postes de fonctionnaires qu’il aurait fallu parce que « cela aurait été trop brutal » ! On a vraiment l’impression que cet homme est sous tranquillisants quand on l’entend tenir à ce sujet un discours presque zen, alors que les déficits de l’Etat et des organismes sociaux sont catastrophiques et que la France, prise à la gorge par ses obligations européennes, n’a que très peu de temps devant elle pour les supprimer.

Il y aurait bien une troisième hypothèse : que Sarkozy s’entoure de conseillers compétents, daigne les écouter, et entreprenne enfin de réformer vraiment le pays. Certains éditorialistes de la presse française ont rappelé qu’après tout Tony Blair et Gerhard Schröder avaient eux aussi connu des débuts calamiteux avant de rétablir leur situation et d’obtenir de bons résultats. La difficulté est que, là encore, se trouve posé le problème de la compétence. Ni Blair ni Schröder n’étaient inaptes à leurs fonctions. Et s’ils ont pu se racheter de leurs erreurs initiales, c’est parce qu’ils les avaient analysées et comprises. Ce qui réclame de la compétence !

De quelque côté que l’on se tourne, la situation de Nicolas Sarkozy paraît désespérée. Et dans les chancelleries du monde entier, depuis le début de 2008, on se demande de plus en plus si le président français terminera son mandat. La seule lueur d’espoir pour lui réside dans l’idée qu’il pourrait finalement vaincre ses démons, admettre son incapacité et laisser dériver le paquebot France au gré des courants, en priant le ciel qu’il ne se brise pas sur quelque récif avant le terme du mandat présidentiel. Cela suppose non seulement que Sarkozy trouve une forme durable d’équilibre mental, mais aussi que les événements intérieurs et extérieurs permettent au paquebot en perdition de rester à flot et de poursuivre son incertaine navigation, c’est-à-dire qu’aucune tempête meurtrière ne se lève.

Or les événements mondiaux sont très inquiétants, avec la crise bancaire, financière et boursière partie des Etats-Unis à l’été 2007 et le ralentissement économique qui va forcément en résulter. La France, qui a construit son budget 2008 sur une hypothèse de croissance de 2,25 %, va devoir réviser à la baisse ses rentrées fiscales et sociales puisque les grandes institutions internationales ne lui prédisent actuellement qu’à peine 1,6 %. Les déficits vont donc se creuser davantage et le rétablissement de nos comptes n’en sera que plus douloureux. L’opinion publique acceptera-t-elle les sacrifices qui vont inévitablement être imposés au peuple par un président si impopulaire et si peu crédible ?

En politique, il y a une règle qu’il faut s’efforcer de respecter quand on arrive au pouvoir : prendre tout de suite les mesures difficiles. Au bout de quelques mois, dans un pays démocratique où existent par nature des divisions politiques et où les citoyens sont en permanence tenus en haleine par les médias, plus rien de décisif n’est possible. Nicolas Sarkozy est impardonnable d’avoir négligé cette règle. Toute sa campagne s’est faite sur le thème de la rupture, et il n’ignorait rien des graves problèmes économiques et financiers de la France. On est donc porté à en conclure que sa prédication n’était faite que de mots qui n’avaient pour lui aucun sens. Une telle inconscience, dans de telles circonstances, est la marque d’une terrible incompétence.

Dans le pamphlet intitulé « Ca va mal finir », qu’il a publié en mars 2008, François Léotard confesse : « J’ai voté Nicolas Sarkozy, mais je dors mal depuis. » De plus en plus nombreux, les Français sombrent à leur tour dans l’insomnie. Si bien que la seule question qu’on puisse désormais se poser est fort simple : Qui des Français ou du président va craquer le premier ?

1 : Le Figaro, 14/3/08.
2 : Le Monde, 8/3/08.


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